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Armide agit entourée d’artifices et de séductions. Ici l’auteur se trouve sur son terrain et se plonge dans des fantaisies « ariostesques, » profanes, idylliques, qu’il s’imagine transformer en poésie religieuse parce qu’il accroche au bout la verge d’or et la rhétorique d’Ubald. Renaud, le converti, n’a pas « une personnalité claire; » ce qu’il est et ce qu’il devient ne se développe pas dans sa conscience et n’a pas l’air d’être son ouvrage ; c’est le produit d’influences maléfiques et bienfaisantes qui se le disputent avec acharnement. Le drame est tout extérieur et demeure bien au-dessous de la confession de Dante pénétrée de l’esprit religieux. Quant au reste, Renaud est une réduction du Roland de l’Arioste, comme Argant est un Rodomont poussé au noir. — Le Tasse voulait faire un poème sérieux, mais ce sérieux est négatif et mécanique : il se borne à supprimer l’élément plébéien et grotesque et à simplifier la fabulation. Le poète ne sait sortir de lui-même, n’a pas le divin oubli de l’Arioste, n’atteint pas l’histoire dans son esprit et dans sa vie intérieure, en atteint à peine l’aspect matériel et superficiel. Ce qui vit au-dessous, c’est lui-même : il cherche l’épique et trouve le lyrique ; il cherche le vrai, le réel et produit le fantastique, il cherche l’histoire et ne donne que son cœur. Sur un fond romanesque il construit un nouveau monde poétique : c’est là sa création ; c’est là que ses grandes qualités sont à l’aise. C’est un monde lyrique, subjectif et musical, reflet de son âme a pétrarquesque, » et, pour tout dire en un mot, c’est un monde sentimental.

Le sentiment idyllique, élégiaque s’était développé dès l’aube de la renaissance, chez Politien, chez Pontano, puis s’était noyé dans l’inondation des romans, des nouvelles et des comédies. L’idylle était le repos d’une société fatiguée qui, manquant de sérieux dans la vie privée et publique, se réfugiait aux champs, comme les individus dans les cloîtres. Survinrent les agitations et les désordres de l’invasion étrangère, et quand le résultat de la lutte fut une Italie papale et espagnole, quand fut perdue toute liberté de pensée et d’action et que la vie n’eut plus aucun but élevé, l’idylle reparut avec plus de force et devint l’expression la plus accentuée de la décadence italienne. Parmi tant de formes purement littéraires, c’est l’idylle seule qui vécut réellement.

L’idylle italienne n’est pas de l’imitation, c’est une création originale de l’esprit. Déjà, dans Pétrarque, elle s’est annoncée telle qu’elle s’affirme dans le Tasse, une rêverie douce entre les mille bruits de la nature. L’âme, recueillie en soi, est mélancolique et disposée à la tendresse ; la nature devient musicale, acquiert de la sensibilité, répand avec ses images des murmures qui sont des voix de la vie intérieure. Ce qui prévaut dans l’homme, c’est le côté féminin : la grâce, la douceur, la pitié, la tendresse, la volupté, les