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dans la nature et dans l’histoire non pressenti par Hegel. L’esthéticien de Naples disait gravement aux praticiens des Batignolles : « La science peut bien concentrer son attention sur un seul principe et l’établir sous tous ses aspects, puis passer à autre chose. Mais un travail d’art est la représentation simultanée de la vie, et vous ne pouvez me l’expliquer par un seul facteur sans la mutiler et, en même temps, sans l’exagérer. Le principe héréditaire n’est pas l’unique facteur de la vie, et si vous voulez réduite la vie, à si peu de chose, vous tombez dans l’excès (ou dans le vide). En effet, la logique de la vie vous contraint à mettre dans vos récits beaucoup de choses qui sont en dehors de ce principe et même contre lui. Vous appelez votre Pascal une excentricité de la nature, mais la nature est si pleine de ces excentricités que parfois l’exception devient la règle. Et, de toute façon, il est impossible que vous alliez en avant avec ce fil conducteur sans tiraillemens, sans constructions artificielles, sans applications forcées qui font sourire. Enfin quel plaisir y a-t-il à faire un chemin si long, si tortueux, si pénible, pour apprendre ce qu’une demi-heure de lecture, une page de science nous révélerait bien plus nettement ? » — « Nun ve n’incaricate ! » Qu’est-ce que ça vous fait ? auraient pu répondre les naturalistes, s’ils avaient su le napolitain. Mais les naturalistes ne savent que le français, quand ils le savent.

Nous n’avons fait qu’indiquer les qualités et les défauts de De Sanctis ; pour le connaître mieux, il faudrait lire une de ses longues études : celle sur Dante, par exemple, ou sur l’Arioste, ou sur Parini, qu’il a mieux compris que tout autre, ou son livre sur Pétrarque, ou les pages nombreuses qu’il a consacrées à Ugo Foscolo, à Manzoni, à Leopardi. Prenons un fragment de l’Histoire littéraire et tâchons de suivre l’auteur d’aussi près que possible en hâtant un peu son allure et en l’attendant de loin en loin, parce qu’il revenait souvent sur ses pas. Nous choisissons le chapitre sur le Tasse, parce que nous écrivons pour des lecteurs à qui ce poète est familier, grâce à M. Victor Cherbuliez et au Prince Vitale.


III.

De Sanctis remonte au concile de Trente. Jusque-là les poètes italiens et les polémistes protestans avaient chanté sur tous les tons la corruption de la cour romaine. Rome, « la prostituée » de Dante, la « Babylone » de Pétrarque, avait été assaillie par les luthériens du côté des mœurs : c’était le point faible et l’attaque la plus propre à faire impression sur la foule. Le concile brisa cette arme de guerre en réformant la discipline et en faisant cesser le