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tant d’autres, au hasard des rencontres, sans ordre ni dessein ; j’avais la tête pleine d’histoire, de théâtre et de romans, et tout y restait, parce que ma mémoire était bonne. Il arriva un jour que Francesco Costabile me proposa de me conduire à l’école du marquis Puoti : « Pour quoi faire ? » demandai-je, et lui : — « Pour apprendre l’italien. » — Je regardais cela comme une offense. Mais beaucoup de mes amis allaient à cette école, et tous en chantaient merveille : j’y allai donc aussi. On l’appelait « école de perfectionnement, » on y accomplissait ses études et l’on y était poussé par un désir de culture supérieure, par l’envie de ne pas rester au-dessous du voisin. »

Arrêtons-nous ici, nous entrons dans une maison qui a rendu de grands services. Tous les Napolitains, qui, de nos jours, se sont fait un nom dans les lettres, étaient sortis de là. Ce marquis Basilio Puoti, marquis honoraire, mais bon humaniste, très fort en grec, s’était voué à la culture de la langue italienne et réunissait autour de lui, dans une école gratuite, tous les jeunes gens qui aimaient l’étude et promettaient du talent. Il donnait des leçons qui étaient plutôt des conférences dans une vaste salle de son palais, où se pressaient deux cents écoliers fraîchement échappés des séminaires. En ce temps-là (vers 1835), il n’y avait, à Naples, ni règlemens, ni programmes, les examens étaient de pures cérémonies, et, avec ou sans grade, professait qui voulait. Le gouvernement avait pour devise, en ce qui concernait l’instruction publique : Non incaricarsene, ce qui, traduit librement, dans le ton familier du mot, signifie : « Qu’est-ce que ça me fait? » Le président de l’université, un monsignor, n’avait qu’un souci en tête : les étudians allaient-ils à la messe? Sur tout le reste, il se montrait coulant et à ceux qui semblaient s’inquiéter des études, il disait en haussant un peu l’épaule : « Qu’est-ce que ça vous fait? » De Sanctis lui-même, étant, quelques années après, professeur au collège militaire, épancha un jour ses soucis dans le cœur du chapelain et lui confia ses idées pour réformer l’enseignement littéraire : « Qu’est-ce que ça vous fait? murmura le chapelain en lui serrant la main avec effusion. Crois-moi, mon ami, non te n’incaricare, ne t’inquiète pas de ces choses. Le roi dit : « Plus ils sont ânes, plus je suis savant. » — Deux ans après, ce chapelain fut nommé évêque.

Grâce à ce « laissez-faire, » un peu méprisant, le roi Ferdinand obtint tout le contraire de ce qu’il espérait : il y eut à Naples une rage d’apprendre et de savoir. On ne suivait pas les cours de l’université, mais quinze ou vingt mille étudians, accourus de toutes les provinces, affluaient dans les écoles privées où professaient des hommes vraiment supérieurs. Le marquis Basilio Puoti fut l’un de ces hommes, et, comme il était bourbonien, on ne l’inquiéta pas; le roi