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libéralement aux Italiens victimes des réactions politiques; De Sanctis refusa cet argent et voulut vivre de son travail. Il occupa un petit emploi dans une maison d’éducation et fit des conférences ; en 1856, il accepta une chaire à Zurich. « C’est là, dans cette solitude, écrit un de ses amis, qu’on pouvait étudier à loisir sa nature contemplative, ingénue. Les Zuricois sont peu sociables et ignoraient sa langue, aussi vivait-il chez eux commue dans une cellule qui n’était pas une chambre close, car il la portait partout avec lui. Dans son logis, il y avait une jolie pièce pleine de canaris qu’il soignait avec amour; au dehors, un beau pont enjambait la Limmat : c’est là qu’il achevait la préparation de son cours et sa cellule le suivait jusque dans sa chaire, où il montait un quart d’heure trop tôt. » Même en cette ville suisse, où l’on parlait allemand, il se fit aimer de tout le monde.

Quand l’Italie fut libre, il y revint naturellement et revit Naples en 1860; Garibaldi lui offrit alors le gouvernement de la province d’Avellino. Pour accepter cette haute fonction, De Sanctis se fit un peu tirer l’oreille : il eût préféré une chaire et la compagnie des jeunes gens. Mais, en ce temps-là, tout le monde se devait à la patrie. Il partit donc sans tambour ni trompette et arriva une belle nuit à la préfecture d’Avellino. On le retint à la porte : « Qui êtes-vous? — Je suis De Sanctis. — Et qui est De Sanctis? — C’est le gouverneur de la province. » L’huissier se confondit en excuses et tira son chapeau jusqu’à terre : le brave homme se figurait qu’un gouverneur ne pouvait entrer dans la ville qu’au bruit des cloches et des pétards. Très peu de temps après. De Sanctis était de retour à Naples et entrait dans le cabinet Conforti comme ministre de l’instruction publique. En huit jours, il réorganisa l’université, congédia trente-deux vieux professeurs, fonda le lycée Victor-Emmanuel, l’installa dans une ancienne maison des jésuites, pensionna une improvisatrice de talent, Giannina Milli, et prépara une loi d’instruction primaire et secondaire. Puis il siégea au premier parlement italien comme député de Sessa. Cavour le nomma ministre de l’instruction publique, parce qu’il était le seul homme de Naples dont les Napolitains ne lui eussent pas dit de mal<ref> De Gubernatis, Ricordi biografici, Florence, 1872. </<ref>. C’est là, en effet, un des signes particuliers de cette physionomie sympathique : il est toujours resté populaire dans un pays où il suffisait d’avoir passé au pouvoir pour être conspué. C’était de tradition, cela remontait à l’ancien régime.. Seul ou presque seul. De Sanctis a fait exception. « On ne peut s’empêcher de l’aimer, dit de lui un de ses biographes : il a une grande puissance d’attraction, on ne