Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/618

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’importation, un salon de Paris, Mrs Spring elle-même n’a pas les secrets ensorcelans d’une Parisienne ; quoi que puisse dire M. Fawcett, pour nous prouver que son excentricité n’a rien de grossier, elle manque tout à fait de ce qui décidément n’appartient qu’à un seul pays au monde : la grâce légère, ailée, qui effleure sans appuyer jamais. Quelle imitation maladroite de Froufrou, de la Petite Marquise et des coquettes spirituelles de M. Octave Feuillet! La voyez-vous d’ici avec ses toilettes tapageuses que le cliquetis des bijoux accompagne à chaque mouvement comme un carillon de grelots, de sorte que l’on compare les colifichets dont son mari la couvre aux clochettes suspendues par les paysans au cou de leurs chèvres afin de les empêcher de se perdre si elles sautent la barrière! Du reste, Mrs Spring ne saute aucune barrière, bien qu’elle ne paraisse occupée qu’à prendre son élan pour quelque cabriole irréparable : elle est entourée d’un cercle bruyant d’admirateurs et de jeunes folles qui soupent avec elle au restaurant en vogue, qui l’accompagnent dans des courses échevelées sur la cime d’un drag ; elle ne recule pas devant les cafés-concerts et autres lieux suspects où l’on s’amuse, tandis que son mari joue au cercle ou à la Bourse, — voilà tout. Cette étourdie est de fait trop bon pilote pour aller se jeter contre aucun récif, et, quant aux vents orageux, elle ne s’y livre que lorsqu’elle est parfaitement sûre d’en rester maîtresse. Le cœur lui manque, en somme, tout autant que l’imagination, l’esprit et le bon goût. Wainwright, qui a pu s’y tromper, en la rencontrant autrefois hors de son milieu, est bien vite désenchanté. Vraiment nous ne lui trouvons aucun mérite à s’abstenir d’entrer dans le jeu de flirtation à outrance dont ce boudoir douteux est le théâtre. S’il retourne souvent chez Mrs Spring, c’est qu’une autre femme l’y attire, Ruth Cheever, la sœur de cette évaporée, une orpheline que sa destinée force à supporter le contact d’un monde qu’elle abhorre, tandis que l’odieux beau-frère, qui est censé lui donner une hospitalité généreuse, expose son petit avoir dans les aventures auxquelles il est mêlé.

Peu à peu, Ruth est amenée à confier ses chagrins au compatissant Wainwright, et la rivalité sourde entre les deux sœurs, tandis que l’aînée voit son ex-conquête lui échapper et que la cadette souffre d’être trop mal placée dans la vie pour pouvoir compter sur la recherche d’un honnête homme, est indiquée avec beaucoup de finesse par M. Fawcett. Malheureusement pour l’intérêt soutenu d’une idylle comme il en éclôt dans tous les temps et dans tous les climats, — heureusement pour nous autres, explorateurs pressés qui avons chargé ce gentleman of leisure de nous servir de guide à travers des mœurs nouvelles où l’amour n’a que faire, — Wainwright