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tenue de se conformer aux règlemens protecteur, qui, dans certains cas, défendent la sécurité et éclairent la justice. A ses débuts, l’Hospitalité du travail a dû payer patente de logeur, mais elle a été exemptée de cette contribution, aussitôt que l’on eut reconnu les services qu’elle rendait sans marchander à la population indigente de Paris; à cet égard, l’administration municipale a mis un empressement qu’il faut louer. J’ai parcouru le registre, qui est intéressant à plus d’un titre. On voit les provenances, elles sont diverses : l’hôpital, le vagabondage, la prison même, fournissent leur contingent; la plupart des noms sont suivis de la mention : sans papiers, c’est-à-dire identité contestable, parfois dissimulée, parfois même ignorée. Que de fois, lorsque j’assistais, en 1869, à l’interrogatoire des femmes arrêtées, j’ai entendu des dialogues dont je restais troublé jusque dans l’âme : « Comment vous nommez-vous? — On m’appelle la Chiffonnette. — Ce n’est pas un nom. — Je n’en ai pas d’autre. — Quel est votre nom de famille? — Je ne sais pas. — Où est votre père? Où est votre mère? — Je ne sais pas. — Les avez-vous connus? — Jamais. — Qui est-ce qui prend soin de vous? — Personne. — Avec qui vivez-vous? — Avec tout le monde. — Où demeurez-vous? — Nulle part. » Une fois, M. Maricot, sous-chef du bureau des mœurs à la préfecture de police, questionnait en ma présence une fillette de seize à dix-sept ans, ébouriffée, impudente et néanmoins émue. Brusquement il lui dit : « Avez-vous entendu parler de Dieu? » Elle répondit : « Dieu? Ah! oui, un vieux, qui a une grande barbe. » Ces souvenirs s’évoquaient d’eux-mêmes pendant que je feuilletais le registre, et la note « sans papiers » me rappelait la longue théorie des filles perdues qui avaient défilé devant moi lorsque j’étudiais la race malade qui végète sur le trottoir, traverse Saint-Lazare, souffre à Lourcine, reste quelques jours à la Maternité, porte le fruit anonyme de sa déchéance à l’Hospice des enfans assistés et meurt à la Salpêtrière, ou à la maison centrale de Clermont, ou dans un asile d’aliénées. Sur ce livre j’ai pu constater une fois de plus combien Paris serait peu misérable si les misérables de province ne l’envahissaient. Les 200 dernières entrées, que j’ai vérifiées une à une, fournissent un renseignement précis : 35 Parisiennes, 165 provinciales ou étrangères; l’Italie, l’Espagne, le grand-duché de Bade, la Belgique, la Hollande sont représentés et figurent à côté de la Martinique, de l’Algérie et du Sénégal. On ne tient pas note de la religion, je le regrette; j’aurais voulu reproduire des chiffres et prouver que l’Hospitalité est sans limites comme sans restriction ; elle ne tient pas compte des sectes; elle accueille la juive, la protestante ou toute autre : elle est vraiment catholique, au sens originel