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« Il m’a paru, écrivait-il à Amelot, qu’il aime la gloire et les ambassades, » Van Haren n’était pas absolument le seul à qui on pût appliquer cette appréciation piquante[1].

Il ne fut pas difficile à Fénelon de faire comprendre qu’un dithyrambe fait en l’honneur de Marie-Thérèse n’était pas un titre suffisant pour devenir à Paris un négociateur prudent et pacifique. Le seul résultat de ces fausses manœuvres fut d’avoir amené Voltaire à découvrir imprudemment son secret et à rendre sa situation, dans ses rapports surtout avec la société qu’il s’était choisie, des plus embarrassantes. Cette ardeur subite qui l’enflammait pour les intérêts français dessillait, en effet, tous les yeux ; car tant de zèle patriotique eût supposé chez un mécontent une vertu surhumaine dont, avec la meilleure volonté du monde, ni le caractère ni le passé connu du grand écrivain ne permettaient de le croire capable. Et que devaient penser van Haren et ses amis d’un proscrit qui se croyait assez bien en cour pour promettre des ambassades au premier venu ? La feinte, ainsi mise à nu, n’était plus qu’une supercherie enfantine propre seulement à offenser ceux qui avaient été assez simples pour s’y laisser prendre. Le bruit que Voltaire n’était que l’agent, assez mal déguisé, du cabinet de Versailles se répandit aussitôt dans toute la Hollande et les gazettes se divertirent aux dépens des dupes qu’il avait pu faire.

« En même temps, monseigneur, écrivait La Ville à son ministre, que je me fais un devoir de rendre témoignage au zèle de M. de Voltaire, à son envie de devenir utile au service du roi et au désir extraordinaire qu’il a de mériter votre approbation, je ne dois pas vous dissimuler que le motif de son voyage auprès du roi de Prusse n’est plus un secret. La Gazette de Cologne, en faisant usage de ce qui se trouve à ce sujet dans le supplément de celle d’ici, du 16 de ce mois, n’a été que l’écho de ce qui se dit publiquement[2]. »

Voltaire lui-même ne tarda pas à sentir la gaucherie de sa position et laissa apercevoir assez clairement son embarras à l’ambassadeur. Le marquis, dont le bon sens et la droiture souffraient depuis longtemps d’être mêlés à une comédie assez peu honnête, lui conseilla tout simplement d’y renoncer et de se donner sans détour pour ce qu’il était : « Je lui ai dit, écrivait-il, qu’il ne pouvait se couvrir plus longtemps de ce masque. Il me par la encore hier, dans ce qu’il me fit voir qu’il vous écrivait, de ce qu’il concertait

  1. Voltaire à Amelot, 16 août ; à Thiériet, 6 août 1743. (Correspondance générale.) — Fénelon à Amelot, août 1743. (Correspondance de Hollande. Ministère des affaires étrangères.)
  2. L’abbé de La Ville à Amelot, 20 août 1743. (Correspondance de Hollande. Ministère des affaires étrangères.)