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de rébellion, plus je suis l’adorateur d’une religion dont la morale fait du genre humain une famille et dont la pratique est établie sur l’indulgence et les bienfaits. Comment ne l’aimerais-je pas, moi qui l’ai toujours célébrée?.. Vous dans qui elle est si aimable, vous suffiriez à me la rendre chère... Elle nous soutient dans le malheur, dans l’oppression, dans l’abandonnement qui le suit, et c’est peut-être la seule consolation que je doive implorer, après trente années de tribulations et de calomnies qui ont été le fruit de trente ans de travaux... J’avoue que ce n’est pas ce respect véritable pour la religion chrétienne qui m’inspire de ne faire jamais aucun ouvrage contre la pudeur ; il faut l’attribuer à l’éloignement naturel que j’ai eu, dès mon enfance, pour ces sottises faciles, pour ces indécences ornées de rimes qui plaisent, par le sujet, à une jeunesse effrénée. » Notez que la Pucelle était composée depuis dix ans et circulait assez publiquement, bien que sous le manteau, entre les mains des amateurs[1].

Avec Maurepas, qui était homme d’esprit, et faiseur comme lui de petits vers, Voltaire voulait essayer ce que pourrait le charme de sa conversation sur un confrère en poésie légère. Il l’alla voir et, après un entretien où il déploya toutes ses grâces en le comblant de complimens : « Parlons franchement, lui dit-il; vous êtes brouillé avec Mme de La Tournelle que le roi aime, et avec le duc de Richelieu qui la gouverne. Mais quel rapport y a-t-il entre cette brouillerie et une pauvre place à l’Académie française? C’est une affaire entre Mme de La Tournelle et l’évêque de Mirepoix. Si Mme de La Tournelle l’emporte, vous y opposerez-vous? » Maurepas. jusque-là de bonne humeur, se recueillit un moment, puis d’un air sérieux : « Oui, dit-il, et je vous écraserai. » En sortant. Voltaire tout déconfit et très irrité, jura, dit-on, assez haut, qu’il saurait bien venir à bout de la prêtraille, puisqu’il avait pour lui les appas de la favorite. » (J’avertis le lecteur que le mot d’appas est ici substitué à un autre beaucoup plus précis que l’écrivain, tout à l’heure si pudique, n’avait pas craint d’employer et qui ne pourrait être imprimé en toutes lettres.) La liberté du propos, dont Mme de La Tournelle eut connaissance, au lieu de la blesser, la fit sourire. Elle fit venir Voltaire, et le reçut à sa toilette, ce qui était assez l’usage des dames du temps, mais ce qui lui permettait de se montrer dans le costume le plus approprié pour faire apprécier le genre d’avantages sur lesquels Voltaire comptait pour sa candidature. « Eh bien ! monsieur de Voltaire,

  1. Voltaire à Boyer, mars 1743. (Correspondance générale.) — L’autre lettre de la même date ne porte pas de suscription; mais tous les éditeurs de Voltaire ont pensé qu’elle était adressée à l’archevêque de Sens, et une lettre de Frédéric qu’on trouvera plus loin confirme cette opinion.