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et je ne puis digérer certaines conditions. Et cependant, ajoutait-il, comment faire quand on y est réduit en même temps par l’ennemi et par l’ami ? »

Averti de ce scrupule, Noailles ne manquait aucune occasion de lui en faire, au nom de Louis XV, de chaleureux complimens en y joignant, sous forme de quelques millions de subsides, des moyens plus substantiels pour l’engager à y persévérer : car depuis qu’il s’était approché de l’Allemagne, Noailles comprenait mieux que l’on ne faisait peut-être à Paris l’intérêt de conserver ce fantôme d’empereur « comme une idole, disait-il, à présenter à l’empire afin de l’empêcher de se livrer aveuglément aux vues des Anglais et des Autrichiens[1]. »

Mais, parallèlement à cette négociation, une autre était poursuivie qui tenait bien plus au cœur du cabinet anglais et dont il faisait, en réalité, dépendre la continuation de son intervention en faveur de Marie-Thérèse : celle-là avait pour but de convertir en une alliance définitive la transaction précaire et bizarre qui réunissait sous un même drapeau, en Italie, l’armée autrichienne et l’armée du roi de Sardaigne. J’ai dit en quoi consistait cet arrangement peut-être sans exemple dans les annales diplomatiques. Sans renoncer à ses prétentions personnelles sur la Lombardie, Charles-Emmanuel avait consenti à en ajourner la discussion et à unir, en attendant, ses forces à celles de Marie-Thérèse pour éloigner un ennemi commun (l’infant d’Espagne don Philippe), représentant de la puissance et de l’ambition de la maison de Bourbon en Italie. Leurs armées réunies avaient été heureuses, car, à la suite d’une bataille livrée en avant de Bologne, à Campo-Santo, le général espagnol Gagés avait été forcé de se retirer au-delà de Rimini. Le Milanais était délivré : c’était ce résultat qu’il s’agissait de confirmer et d’étendre en convertissant une coalition temporaire et purement défensive en une amitié solide fondée sur des concessions réciproques.

Mais c’était là justement le pas que Charles-Emmanuel hésitait à franchir, ou, du moins, qu’il ne voulait faire qu’à bon escient, et en calculant jusqu’aux moindres sou et denier ce qu’il aurait à y gagner. À vrai dire, s’il avait voulu et si ses troupes eussent tiré parti de leur victoire, la retraite des Espagnols eût été changée aisément en une déroute ; mais il n’avait eu garde de pousser ce succès assez loin pour que Marie-Thérèse, n’ayant plus rien à craindre, n’eût

  1. Correspondance de Bavière, juillet et août, passim. — Blondel à Amelot, 7 août 1743. — Lautrec à Amelot, 11 août 1743. — Chambrier au roi de Prusse, 23 août 1743. — (Ministère des affaires étrangères. — Rousset, t. I. Introduction, p. LXXVI.)