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l’Autriche. Ici tout est controverse et contradiction. Les commentaires se succèdent et se croisent au sujet d’un événement assez énigmatique qui n’est point apprécié de la même manière à Berlin, à Saint-Pétersbourg ou à Vienne, à Londres, à Paris ou à Rome, et qui, dans tous les cas, peut avoir son influence sur l’ensemble des rapports européens.

Le rapprochement existe sans doute, il a son importance et son rôle dans les affaires de l’Europe ; il a l’avantage de mettre fin pour le moment à cette phase de « rumeurs alarmantes et d’inquiétudes, » dont l’empereur Guillaume a parlé dans son dernier discours. On s’est fatigué de part et d’autre de cet état prolongé de suspicion et d’antagonisme qui laissait toujours croire à un choc inévitable, à une guerre prochaine, et de là ont dû naître les négociations qui ont conduit au rapprochement, à la « consolidation de l’amitié traditionnelle. » Dans quels termes s’est formulée, précisée cette alliance renaissante ? On s’est hâté de dire qu’un traité avait été signé et on s’est plu même à énumérer les dispositions principales du traité qui réglerait les nouveaux rapports entre Berlin et Saint-Pétersbourg. L’imagination des nouvellistes s’est mise un peu trop vite en campagne. Il n’y a vraisemblablement aucune convention écrite : on ne signe un traité que pour un objet déterminé. Tout s’est nécessairement borné à des arrangements confidentiels, à une entente verbale sur les points essentiels de la politique du jour, et, à l’heure qu’il est, il n’est pas impossible de pressentir ce qui a pu être admis entre les cabinets. Ces conditions sont indiquées par la nature des choses. On s’est entendu certainement pour écarter des démonstrations militaires dangereuses ou inutiles. On a dû s’entendre pour confirmer une fois de plus ce qui a été fait par le congrès de Berlin, pour adoucir les antagonismes souvent assez vifs en Orient. On s’est surtout retrouvé d’intelligence pour défendre des intérêts conservateurs communs aux puissances monarchiques du continent.

Dans quelle mesure l’Autriche a-t-elle participé aux négociations qui ont été le prélude de ce rapprochement ? Jusqu’à quel point l’alliance renouée par le chancelier de Berlin avec la Russie se concilie-t-elle avec l’alliance austro-germanique ? C’est là sans contredit un des élémens de la question. Il est certain qu’ici tout n’est pas clair, que dans une partie du monde politique de Vienne et de Pesth, il y a eu au premier moment une impression assez pénible. On a paru éprouver un mécompte ou une crainte vague. Il est cependant difficile d’admettre que l’Autriche ait été laissée à l’écart des négociations, qu’elle ne les ait pas connues, et tout semble indiquer que, dans la pensée des cabinets, la rentrée de la Russie dans le concert des trois empires n’exclut pas l’alliance austro-germanique. On assure qu’il en est ainsi ; c’est présumable, quoiqu’il ne soit pas impossible que M. de Bismarck ait songé à se servir de la Russie pour peser sur l’Autriche, pour