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M. Gambetta en personne, — prenait la défense de la morale politique outragée. Il avait trouvé le moyen de se procurer cette circulaire, et en la déroulant savamment devant l’assemblée, il donnait un peu la comédie. Il raillait, il s’indignait, il n’admettait pas, par exemple, qu’il y eût deux opinions sur un tel méfait. Les républicains se sentaient offensés dans leur pudeur et se voilaient la tête ; les conservateurs restaient un instant un peu abasourdis, — et peu s’en fallut que le malheureux Beulé, alors ministre de l’intérieur, ne disparût dans cette aventure. Fort bien ! c’était un beau puritanisme de la part des républicains, et on aurait pu en conclure que jamais, au grand jamais, ils ne feraient rien de semblable. Point du tout, ils ont aussi maintenant leur circulaire. Ce n’est plus un sous-secrétaire d’état, c’est M. le directeur de la sûreté générale qui demande à ses préfets toute sorte de renseignemens de police. Il ne s’agit plus, il est vrai, de surveiller la presse, il s’agit de soumettre à une savante inquisition les monarchistes, leurs comités, leurs journaux, leurs menées.

C’est la chose la plus simple du monde, observe-t-on. Le directeur de la sûreté générale est institué pour être au courant de tout, il est fait pour renseigner le gouvernement, il est dans son rôle. Au fond c’est un peu notre avis. Seulement, si l’on pense ainsi, que signifiait la comédie d’indignation de M. Gambetta et de ses amis dans un autre temps ? Si M. Gambetta était dans la vérité, comment l’inquisition d’aujourd’hui serait-elle moins un abus que l’inquisition contre laquelle on déployait une si vertueuse et si bruyante éloquence ? Quelle est la différence ? — La différence, elle est tout simplement dans ce fait qu’on était dans l’opposition en 1873 et qu’on est maintenant au pouvoir, que ce qui était un abus de la part des conservateurs n’est pour les républicains que l’usage le plus naturel d’une autorité légitime. Ah ! si M. le directeur de la sûreté publique avait eu l’idée, qu’on lui a un instant attribuée, d’étendre impartialement sa surveillance à tous les partis, aux radicaux comme aux autres, il aurait commis un intolérable excès ; dès qu’il ne procède que contre les royalistes, tout lui est permis ! Et puis, pour tout justifier ou pour tout expliquer, il y a toujours la ressource d’une conspiration. Règle générale : dès que les républicains du jour ne savent plus que faire, on peut s’attendre à une campagne de diversion contre le cléricalisme ou contre les princes. On commence par une circulaire qui prête à rire, pour arriver bientôt à la menace, sans savoir si on n’ira pas jusqu’à des iniquités, ne fût-ce que pour avoir l’air de se justifier. Plaisans politiques, qui n’échappent aux embarras qu’ils se créent ou au ridicule que par des violences et qui ne trouvent rien de mieux que de se faire les imitateurs vulgaires de tout ce qu’ils ont condamné ou bafoué sous d’autres régimes !

Un exemple aussi bizarre, aussi caractéristique et plus sérieux de