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Nous supposions tout à l’heure que M. de Corvin voulût donner les Danicheff à Déjazet ; des juges ou des conseillers eussent bien vu qu’il était plus profitable à la pièce d’attendre une autre occasion ; mais M. de Corvin l’aurait bien vu tout seul : jamais il n’a conçu pareille idée. C’est au Gymnase qu’il prétend porter son drame ; M. Dumas prétend le restituer à l’Odéon. L’un et l’autre, assurément, croit poursuivre l’avantage de la propriété commune ; l’un d’eux se fourvoie, tout auteur qu’il est : des magistrats, s’ils cherchent le même objet, ne risquent-ils pas de faire aussi fausse route ? L’un ou l’autre s’égare ; pour déclarer lequel, il faut avoir certainement plus de lumières que lui. Faut-il dire qu’à l’Odéon la pièce ne déchoit pas, qu’elle aura telle ou telle distribution honorable, et qu’elle sera jouée tout de suite ? Va pour l’Odéon ! Faut-il dire qu’au Gymnase la pièce trouvera toute prête la faveur du public, qu’elle y piquera sa curiosité, qu’elle s’y rajeunira ? Va pour le Gymnase ! L’un et l’autre sort est acceptable, en somme ; aussi l’un agrée à M. Dumas, l’autre à M. de Corvin. Lequel pourtant est préférable ? Il faut pour en décider peser un nombre infini de détails que la justice ordinaire ne saurait mettre en ses balances. Quelle juridiction extraordinaire allons-nous proposer ? Hé ! mon Dieu ! toute naturelle !

Il existe une société des auteurs et compositeurs dramatiques, laquelle est une société d’assurance mutuelle pour l’exécution de traités librement consentis ; elle a des statuts auxquels, à plusieurs reprises, alors que leur légalité était mise en doute, les tribunaux ont donné leur sanction, et ces statuts peuvent se compléter ; elle s’administre elle-même par une commission de quinze membres élus pour trois ans. Cette commission jugerait les débats entre collaborateurs, et les procès qui s’y réduisent, avec plus de connaissance de cause que le corps judiciaire ; et, pour que ces débats et ces procès, sans en excepter un seul, fussent portés devant elle, il suffirait d’introduire dans les statuts de la société un article pareil à celui-ci, que je lis dans les règlemens de nos clubs : « Les membres du cercle s’interdisent tout recours devant les tribunaux ; les contestations qui pourraient naître soit sur l’interprétation du règlement, soit sur son exécution et tout ce qui peut s’y rattacher, sont jugées en dernier ressort par le comité. »

J’entends bien que cette commission, placée par le suffrage au-dessus du monde des théâtres, est recrutée d’ordinaire parmi les grands de ce monde, et que les petits soupçonneraient ces hauts barons d’un peu de complaisance envers leurs pairs. « Devant le tribunal, dira-t-on, M. de Corvin et M. Dumas sont égaux ; devant la commission, qui sait ? .. » Il faut ajouter que, pour sa part, la commission aime autant se décharger sur un tribunal du soin de prononcer, le cas échéant, contre M. Dumas ; quoi d’étonnant qu’elle n’ait pas un courage inutile ? C’est à la société de choisir des mandataires intègres et