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le cas où celui de l’un combattrait celui de l’autre, on verrait, en simple équité, lequel serait le moins respectable et souffrirait le moins de sa défaite ; on ferait céder celui-là selon une certaine mesure, avec des accommodemens humains. Mais le plus souvent on découvrirait que les intérêts des deux parties se concilient et même se confondent, n’étant rien autre chose, en somme, que l’intérêt bien entendu de l’ouvrage. Vaut-il mieux pour la pièce être jouée dans de telles conditions ou ne l’être pas ? Voilà ce qu’il s’agirait de discerner. Dans l’impossibilité où l’on est de respecter les droits contradictoires des adversaires, au moins leur ferait-on accepter leur commun bénéfice, ou leur épargnerait-on un commun dommage. Le public y trouverait son compte. Enfin cette manière de procéder, où l’on traiterait l’œuvre dramatique à peu près comme une personne morale, conviendrait mieux que toute autre à la dignité des lettres.

Mais une cour, mais un tribunal peut-il mener à bien une pareille enquête ? Il est permis de poser cette question sans offenser personne.

Ce grand corps judiciaire, quelque crise qu’il subisse, est réputé toujours sain ; chacun sait d’ailleurs que, depuis quatre mois et demi, l’inamovibilité de la magistrature n’est plus suspendue (apparemment elle est par terre) ; MM. les conseillers et MM. les juges sont assurés de nos respects. Aussi bien professent-ils, ainsi que les présidens, un grand zèle pour les affaires de théâtre. Est-ce un effet de la mode et faut-il croire que la robe et l’hermine même ne défendent pas un homme de cette contagion ? Jamais autant qu’aujourd’hui on ne s’est occupé des choses et des gens des coulisses. M. Augier ou M. X…, — que je désigne ainsi parce qu’il est inconnu, — ne peut avoir l’intention d’écrire en tête d’une feuille de papier blanc : « Acte Ier, scène Ire » sans qu’un reporter l’annonce et prenne date fièrement pour constater qu’il publie le premier cette nouvelle. M. Coquelin ne peut demander à M. Perrin un jour de sortie pour aller visiter Bruxelles ou conseiller le tsar sans que vingt journaux s’en émeuvent ; M. Baron, des Variétés, a-t-il oui ou non payé son dédit ? On dispute là-dessus et sur le chiffre et si la somme est en or ou bien en papier. Mlle Lureau se marie, et Mlle Névada se fait catholique ; mais la tante maternelle de M. Lureau est morte, et la marraine de Mlle Nevada s’intimide ; l’une des cérémonies est retardée, l’autre avancée ; pour l’une, on distribue des billets comme pour une première, l’autre est comme une répétition générale à huis-clos. Cependant la femme de M. Guitry, l’ex-jeune pensionnaire du Gymnase, est accouchée d’un fils à Pétersbourg ; les prénoms de l’enfant, les voici, et, par surcroît, le nom de l’accoucheur ! .. N’est-ce pas à peu près ce que les Anglais et les Américains reçoivent de nous en échange du Times et du New-York Herald ? Quoi de surprenant si l’importance des choses et des gens de théâtre envahit même le Palais ? « Le Palais de justice, devra dire M. Du Camp dans