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il les berce. Quoi ! Vienne, Pesth, Berlin, Paris, sont, pour ainsi dire, à leur portée, et des querelles de princes, de chefs valaques ou bulgares détourneraient ces populations curieuses et avides d’ouvrir leurs oreilles aux bruits des chemins de fer, leurs yeux aux merveilles de notre industrie, leurs bouches aux fruits de nos terres, leurs mains à l’or dont nous paierons leurs propres produits ! Non, il faut le redire et croire aveuglément à cette vérité, le mouvement ne s’arrêtera plus, la locomotive est lancée et ne déraillera pas : le chemin de Constantinople est ouvert. Pour le fermer il faudrait qu’une révolution suprême éclatât en Europe, que notre monde moderne disparût, que la race blanche reculât devant cette race jaune dont on a prédit l’avènement et que des plateaux de l’Asie centrale descendissent des hordes innombrables qui, à l’imitation des anciennes invasions des barbares, changeraient encore une fois la face du monde. Dieu merci ! nous n’en sommes point encore là.

Sans donc s’arrêter à ces prophéties lugubres, quand on songe à la grandeur du but auquel on touche de si près, n’est-on pas émerveillé à la fois de la facilité avec laquelle on peut l’obtenir et attristé en même temps de la nature des obstacles qui pourraient s’y opposer encore ? Que sont, en effet, de minimes intérêts privés ou des susceptibilités politiques sans cause sérieuse lorsqu’il s’agit d’ouvrir un nouveau monde à tous les travailleurs européens ? Avec quelques centaines de kilomètres de voies ferrées, au prix de quelques millions, en laissant pénétrer de plus en plus en Orient des commerçans et des marchandises, au lieu d’une arène, on n’y trouvera plus que des bazars ouverts, on ne se livrera plus qu’à des échanges au lieu de s’exposer aux massacres et aux combats, et à côté du bien matériel, le progrès moral s’accomplira insensiblement. La paix, au lieu de la guerre, la paix féconde, la solution pour le bien de tous et pour la Turquie d’abord, de cette question d’Orient, qui menace l’Europe entière, l’accomplissement de l’œuvre qui glorifiera notre siècle, voilà donc quels seront les fruits des progrès effectués de nos jours dans les sciences et les arts industriels. Des banquiers probes et intelligent, des ingénieurs habiles, des commerçans actifs auront suffi à cette tâche : il faut, nous le répétons, glorifier l’œuvre, et il n’est que juste d’en reconnaître et d’en louer les promoteurs et les ouvriers.


BAILLEUX DE MARISY.