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A qui appartiennent les chemins dits de la Turquie d’Europe ? Il faut que le sort de la société d’exploitation se décide et se règle définitivement pour que les voies ferrées de l’Europe occidentale aboutissent à un point final ; la question de l’embouchure, si l’on peut ainsi parler, ne peut rester en suspens, mais le gouvernement turc n’a pas encore résolu le problème entre lui et la société d’exploitation, et le procès reste toujours à vider. S’entendra-t-il à nouveau avec la compagnie d’exploitation ? Cédera-t-il ses droits à une autre en indemnisant les possesseurs actuels ? Ne formera-t-on qu’un tout des chemins serbes, bulgares et ottomans ? Cette solution dernière semblerait contraire aux habitudes du gouvernement turc, hostile à l’ingérence trop manifeste des étrangers. Si la société d’exploitation constituait un nouveau groupe où l’élément national eût la prédominance, toute difficulté s’aplanirait promptement, le point de jonction ne tarderait pas à être fixé d’une manière définitive et le but que l’on touche déjà de la main ne manquerait pas d’être atteint au jour fixé.

Les lenteurs de la diplomatie, les hésitations d’un gouvernement qui ne voudrait pas que des étrangers fissent chez lui le bien qu’il lui est difficile d’opérer lui-même, tout cela peut retarder l’entrée définitive de la Turquie dans le concert européen ; mais rien ne saurait l’empêcher, il y a des courans qu’on ne remonte pas. Des provinces entières, grandes comme des royaumes, ont été détachées de l’empire ottoman, elles ne lui reviendront plus, la civilisation les a marquées de son empreinte à tout jamais ; deux royaumes, une principauté, ont été créés, dont les souverains peuvent être changés, et le seront sans doute, mais le sultan n’y régnera plus. Le Monténégro, la Grèce, la Russie, l’Autriche, se sont agrandis de dépouilles dont la possession donne encore lieu à des contestations, à des troubles intérieurs ; on n’est pas entièrement satisfait du présent, mais on ne retournera pas au passé. S’il subsiste des antagonismes de races, si le pouvoir n’est pas solidement assis, si de nouvelles révolutions semblent toujours à craindre, le plus petit événement rétablit aussitôt le calme ; il suffit du voyage d’un ministre moscovite en Allemagne, d’une lettre de souverain à souverain qui témoigne de sentimens pacifiques, d’un changement de ministre, et les bruits de coups d’état disparaissent, les réformes de constitution ne restent plus à l’ordre du jour. C’est qu’au fond, malgré leur état social inférieur au nôtre, toutes ces populations ont senti le flot de la vie nouvelle les pénétrer, des besoins inconnus ont surgi, et l’étranger qui est à leur porte, qui leur amène les satisfactions attendues, qui traverse si aisément, si rapidement leur pays, les séduit d’une façon irrésistible par les espérances dont