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dons nécessaires pour exercer dignement vos charges, qu’il vous accorde de longs jours et fasse votre salut, qu’il couvre votre tête au jour du combat et qu’il vous couronne de gloire et de victoire, qu’il vous rende maître de vos ennemis et de ceux qui vous haïssent, qu’il vous fasse revenir en triomphe ; et là-dessus, je baise vos mains avec tout respect. »

Le prince d’Orange accueillit avec son calme ordinaire le rapide changement de fortune qui lui rendait l’héritage de ses ancêtres. En recevant dans son camp de Bodegrave les députés des états de Hollande, il ne sortit pas de ses habitudes de circonspection et se contenta de leur demander s’il était dispensé de son serment. Sur leur réponse affirmative, il les chargea de ses remercîmens, en leur promettant de faire usage de son autorité pour la délivrance du pays et le rétablissement de la tranquillité intérieure. Les députés des états-généraux, qui, quatre jours plus tard, se présentèrent devant lui, le trouvèrent disposé à venir prendre possession de ses charges, et, le lendemain de la résolution qu’ils étaient venus lui notifier, il se rendit dans l’assemblée de la confédération pour y prêter un nouveau serment en qualité de capitaine et amiral-général nommé à vie. Il avait commencé par se faire recevoir comme stathouder par les états de Hollande. Dès les premières heures de la matinée, on l’avait introduit dans leur assemblée, avec le cérémonial en usage pour ses prédécesseurs, sous la conduite de Vivien, qui remplissait provisoirement les fonctions de grand-pensionnaire, et de Duvenwoorde, l’un des membres de la noblesse, accompagnés des députés de Dordrecht, d’Amsterdam et d’Alkmaar. Invité à siéger dans un fauteuil de velours, au haut bout de la salle, au-dessus des sièges occupés par les nobles, il avait ensuite été conduit dans la cour de Hollande, afin d’y être reconnu comme chef de la justice. Avec autant de tact que de prudence, il s’abstint de tout discours et, le même jour, il repartit pour le quartier-général.

« Voilà le gouvernement du pays changé en moins de quinze jours, écrit à l’agent français Bernard l’un de ses correspondans de La Haye ; tout dépend maintenant de la volonté du prince : étant maître, il n’y a personne qui osera le contredire. C’est en lui que réside principalement aujourd’hui ce qui reste d’autorité chez les états ; il est souverain, sans le nom seulement. » Saint-Évremond avait prédit cette révolution à Jean de Witt. On lit dans ses œuvres : « Il me souvient avoir dit souvent en Hollande, et même au grand-pensionnaire, qu’on se méprenait sur le caractère des Hollandais. Ils appréhenderaient un prince avare, capable de prendre leurs biens, un prince violent qui pourrait leur faire des outrages ; mais ils s’accommodent de la qualité de prince avec plaisir. Les