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été signée par les dix-sept conseillers présens, on fit observer dans la foule qui restait ameutée que sa signature manquait, et ses ennemis ne voulurent pas laisser échapper cette occasion de l’humilier. Il continuait à être retenu au lit par la maladie et, pour l’obliger à ratifier la résolution prise en son absence, on lui envoya le secrétaire de la ville, accompagné du capitaine de la bourgeoisie. Après avoir pris connaissance de l’acte dont la signature lui était imposée, Corneille de Witt demanda si la rédaction en pouvait être changée « en y employant des termes moins positifs. » La réponse ayant été négative, il déclara qu’il aimerait mieux mourir sur son lit et avoir la tête brisée, plutôt que d’y donner son consentement. « Vous pouvez me trancher le cou avec l’épée que vous avez au côté, dit-il au capitaine de la bourgeoisie. Quant à moi, j’ai prêté serment à l’édit perpétuel, je veux le tenir puisque je n’en suis pas dispensé. » Le capitaine ayant protesté qu’il n’était pas venu pour être un assassin, il lui répliqua laconiquement : « Je ne peux pas signer, quoi qu’il arrive. »

Toutefois, l’intervention de sa femme ébranle la fermeté de son refus, en mettant aux prises les sentimens du mari et du père avec ceux du citoyen. Maria van Berkel, craignant que sa demeure ne fût envahie par la population attroupée devant la porte, et que le capitaine de la bourgeoisie pouvait à peine contenir, avait senti fléchir sa grande âme. Quoiqu’elle eût toujours fait preuve d’une intrépidité toute virile au milieu des périls qui avaient plus d’une fois menacé son mari, elle le presse avec instance de céder. Corneille de Witt résistant encore à ses prières, pour avoir raison de son refus, elle lui déclare avec désespoir qu’elle n’a plus d’autre parti à prendre que celui de s’éloigner, se croyant tenue comme mère d’aller mettre en sûreté la vie de ses enfans. Vaincu par ses larmes, Corneille de Witt prend la plume dont sa main endolorie peut à peine faire usage ; il écrit son nom et y ajoute ces deux lettres : V. C., qui voulaient dire : Vi coactus (contraint par la force.) Le secrétaire Muys lui en demande l’explication et le supplie de les faire disparaître pour ne pas donner un nouveau signal aux fureurs de la foule. « Je ne les retirerai pas, dit-il, parce qu’autrement je ne consentirais pas à signer. » Pendant que sa femme les efface à son insu, prévoyant ce pieux subterfuge de la tendresse conjugale, il demande au secrétaire de dresser un procès-verbal de sa protestation, dont il se fit plus tard remettre la copie. Il s’était mis en mesure, ainsi qu’il affirmait lui-même avec orgueil, de témoigner aux états ses maîtres qu’il n’était pas un parjure.

Le mouvement populaire de Dordrecht ne resta pas isolé et fut comme une traînée de poudre qui propagea l’incendie. A Rotterdam, le complot fut préparé par les officiers de la bourgeoisie. A la