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pensionnaire de Hollande, Jean de Witt, avait glorieusement rempli cette période, en mettant une petite république au rang des premières monarchies de l’Europe.

Cette longue prospérité s’était tout à coup changée en désastres qui ne pouvaient manquer de préparer et de précipiter un changement de gouvernement. Réduites à toute extrémité par l’invasion française, à demi conquises en un mois, menacées d’un démembrement par Louis XIV et son allié, le roi d’Angleterre Charles II, les Provinces-Unies devaient nécessairement chercher un sauveur. Le prince d’Orange, qui venait d’atteindre sa majorité, paraissait prédestiné à ce rôle : c’était celui qui avait appartenu à ses ancêtres, il semblait devoir en hériter. Il avait pour lui le prestige des souvenirs, qui sont une part de la vie des peuples ; il y joignait, avec l’attrait de la jeunesse, le don précoce du commandement. Tout en lui révélait celui qui sait se faire obéir : son impénétrable réserve, son sang-froid inaltérable, son invincible opiniâtreté. Dès que la déclaration de guerre fut devenue inévitable, la charge de capitaine-général avait été rétablie en sa faveur. Quoiqu’elle ne lui eût été attribuée que pour la durée d’une campagne, sous la surveillance des commissaires des états-généraux, elle lui permettait aisément de s’élever au pouvoir qu’il convoitait comme stathouder, malgré l’édit perpétuel qui avait aboli le stathoudérat en Hollande et interdit sous serment d’en proposer le rétablissement.

Autour du prince d’Orange, le parti qui était resté fidèlement attaché à sa fortune se grossissait de tous ceux que le désir ou la prévision d’une prochaine restauration lui ralliaient. Il ne se contentait pas de réclamer l’extension du commandement qui lui appartenait en voulant que la charge de capitaine-général lui fût conférée à vie et avec la plénitude des prérogatives du pouvoir militaire ; il revendiquait en sa faveur le pouvoir civil de stathouder et se montrait impatient de lui rendre ainsi la puissance qui était le patrimoine de sa famille. On se plaignait avec violence de la défiance qui lui avait été témoignée dans l’instruction qui limitait ses pouvoirs de capitaine-général, et l’on imputait les malheurs de la guerre à la suppression du stathoudérat. « Il était temps, disaient tous ceux qui recevaient le mot d’ordre des amis du prince, de mettre Son Altesse hors de tutelle et de donner à la république un chef à la fois militaire et civil dont elle ne pouvait plus longtemps se passer ; autrement il n’y avait pas de salut à espérer. »


I

Il n’y avait qu’un homme qui pût se mettre en travers de cette réaction. Seul, le grand-pensionnaire de Witt avait jusqu’alors