Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/393

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

verra qu’il s’éleva le 5 janvier à 18,000 livres ; pendant quelques jours, elle ne reçut donc aucune exécution ; mais les circonstances ne tardèrent pas à lui faire donner une application si large qu’elle entraîna la chute du système.

La théorie, confirmée par la pratique, enseigne que des billets au porteur ne peuvent être émis avec sécurité par une banque que sur dépôt d’espèces métalliques ou en échange de valeurs commerciales, à courte échéance, dont le remboursement fait rentrer des billets ou fait verser du numéraire dans sa caisse ; c’est alors seulement, et à la faveur du mouvement continu qui s’établit entre les espèces, et les billets, qu’une banque peut aussi faire des avances sur dépôt de titres, à la condition que ces avances ne soient jamais qu’une partie prudemment restreinte de ses opérations. La banque royale n’observa aucune de ces règles et ne s’astreignit à aucune de ces garanties.

Il n’est pas moins nécessaire que la monnaie fiduciaire reste dans un certain rapport avec la monnaie métallique, contre laquelle elle doit toujours être échangée, à moins d’aboutir au cours forcé. Or la France n’avait, au milieu du règne de Louis XIV, que 500 millions de numéraire ; si, en 1719, elle paraissait en avoir 1 milliard ou 1,200 millions, c’est que, par suite de l’élévation du cours des espèces, la valeur de la livre était tombée de 1 fr. 95 à 0 fr. 82 ; mais ces 1,200 millions de livres ne représentaient pas plus d’or et d’argent que les 500 millions du temps de Colbert. Les 2 milliards 600 millions de billets s’élevèrent à plus de cinq fois cette quantité d’or et d’argent ; comme si, aujourd’hui que nous avons 4 ou 5 milliards de numéraire, la banque avait 20 ou 25 milliards de billets. La monnaie métallique, par la hausse excessive du cours des espèces, était presque devenue une valeur fictive comme les actions et les billets. Ces deux dernières fictions s’étaient pour ainsi dire engendrées et se soutenaient l’une l’autre. Sans le milliard de billets, qui fut bientôt plus que doublé, les 600,000 actions n’auraient pas été émises, n’auraient pas atteint le prix de 18,000 livres, n’auraient pas conservé celui de 9,600 livres ; sans les actions de la compagnie des Indes, les billets de la banque n’auraient pas trouvé de contre-valeurs en échange desquelles ils pussent être délivrés. Si l’une de ces fictions tombait, elle devait entraîner l’autre dans sa chute. Au moment où pour la foule aveugle et cupide qui se pressait rue Quincampoix, et même pour la France presque entière, il faut le reconnaître, les deux établissemens fondés par Law paraissaient avoir atteint le plus haut degré de crédit, de puissance, de stabilité, ils touchaient à leur déclin et à leur ruine.


AD. VUITRY.