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18,000, sans que cette progression s’explique par l’accroissement des profits ; on se laisse entraîner à croire qu’il n’y a pas de raison pour que cette progression s’arrête et qu’elle sera sans limite ; on achète à 18,000 livres sans considérer le revenu qu’on peut espérer, mais dans l’espérance de revendre à 20,000, à 25,000, etc. Cependant la hausse a nécessairement un terme, que le moindre événement peut déterminer ; dès que ce terme est arrivé et que seulement les prix restent stationnaires, quelques porteurs, ne comptant plus sur une hausse nouvelle, commencent à vouloir réaliser et à vendre ; leur exemple est suivi ; bientôt il se trouve plus de vendeurs que d’acheteurs et les prix baissent ; les premières baisses ne font que précipiter le mouvement des ventes, tandis que les acheteurs font absolument défaut. La baisse est plus rapide que ne l’avait été la hausse ; il arrive même souvent que, par un effet d’imagination, elle descend fort au-dessous de la valeur raisonnable du titre, comme, par un effet d’imagination aussi, la hausse l’avait beaucoup dépassée. Ce phénomène économique et commercial n’était sans doute ni analysé ni aperçu au commencement du XVIIIe siècle ; mais au XIXe, où la spéculation a eu aussi ses exagérations et ses aveuglemens, on l’a vu si souvent se produire qu’il est facile à comprendre, sans cependant, si on s’en rapporte aux faits, qu’il paraisse toujours facile à prévoir.

La situation de la banque ne peut être séparée de celle de la compagnie des Indes. Le 30 décembre, ses billets étaient émis ou autorisés pour 1 milliard, et, en quatre mois, le 1er mai, ils allaient monter à 2 milliards 600 millions (et même à 3 milliards, suivant le préambule d’un édit du 5 juin 1725) ; or ces billets ne trouvaient un gage suffisant ni dans le numéraire déposé dans les caisses ni dans les effets de commerce, à échéance déterminée, escomptés et placés dans le portefeuille. La réserve métallique n’était pas très considérable et pouvait être épuisée rapidement ; l’escompte des effets de commerce, bien que ce fût l’un des objets principaux de l’institution, n’était jamais entré que pour une faible part dans ses opérations. Les billets furent presque tous employés soit à fournir au trésor les 1,500 millions destinés au remboursement de la dette publique, et représentés par une rente de 45 millions constituée au profit de la compagnie, soit à mettre la compagnie à même de racheter ses actions. Le 3 décembre, en effet, le jour même de l’assemblée des actionnaires, Law, informé que les réaliseurs commençaient à vendre leurs valeurs, fit décider que la compagnie achèterait, à bureau ouvert, ses actions au prix de 9,600 livres alors qu’elle venait de les émettre à 5,000, et avant même qu’elles fussent libérées. Cette résolution, dès qu’elle fut connue, aurait dû rendre le cours des actions à peu près fixe, et cependant, on