Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/379

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Avant même la publication de l’édit, les anciennes actions se négocièrent avec 30 pour 100 de prime (650 livres l’action) et l’empressement à souscrire les nouvelles fut tel, qu’en peu de jours les demandes dépassèrent 50 millions ; mais un arrêt du conseil, du 20 juin, « voulant ôter tout prétexte et moyen de les acquérir par préférence et établir une règle générale qui ne fût susceptible d’aucune faveur, » décida qu’on ne serait reçu à souscrire qu’en présentant quatre fois autant d’actions anciennes qu’on voulait avoir d’actions nouvelles. Si les 100 millions du fonds social n’étaient pas représentés pour acquérir les nouvelles actions, ce qui ne serait pas demandé serait acquis, après un délai de vingt jours, des fonds de la compagnie, qui pourrait ensuite le vendre quand les directeurs le jugeraient convenable. L’obligation d’avoir quatre actions anciennes, qu’on appela les mères, pour souscrire à une des actions nouvelles, que, par suite, on appela les filles, fut considérée et a souvent été présentée depuis comme une combinaison habile et perfide imaginée par Law pour amener l’élévation des cours : elle n’était cependant que le moyen, aujourd’hui bien connu et souvent pratiqué, de réserver aux actionnaires d’une société dont le fonds social est augmenté, le privilège de souscrire aux actions nouvelles, ce qui parait de toute justice. Elle eût amené la baisse si le marché avait été disposé à la baisse : elle ne précipita la hausse que parce que la hausse était dans le sentiment public. En effet, un grand nombre d’anciens actionnaires, afin de souscrire aux actions nouvelles, conservèrent leurs titres, qui furent d’autant plus recherchés qu’ils étaient plus rares : après avoir souscrit, ils vendirent ensuite des actions à ceux qui, n’ayant pu souscrire, n’en étaient que plus désireux de devenir actionnaires. Les transactions furent si nombreuses que le numéraire n’aurait pu y suffire ; mais Law avait eu la précaution de faire autoriser la banque, le 10 juin, à émettre pour 50 millions de billets. Ainsi se forme et apparaît déjà le lien qui unira toujours le mouvement des billets et celui des actions. Dans cette situation des esprits et des affaires, les actions devaient monter : les mères et les filles furent à 1,000 livres à la fin du mois de juin, et au commencement du mois de juillet on en vendit 1,300 livres, 1,360, et 1,400 livres[1] sur la nouvelle qu’on venait de découvrir deux mines d’or considérables à la Louisiane et que la banque s’était engagée à faire à la compagnie une avance de 25 millions en billets qui seraient envoyés dans la colonie pour y activer le mouvement du commerce[2].

Le 1er juillet 1719, la banque générale, devenue la banque royale,

  1. Mémoire de la régence, t. II, p. 310.
  2. Arrêt du 16 juillet 1719.