Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/305

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

projets les plus divers, d’accord en un point seulement, la suspension de l’inamovibilité.

Les auteurs des propositions essayaient bien de parler de réformes, nul ne les écoutait. Destituer des juges, tel était le seul intérêt. Pendant trois ans, les faiseurs de projets essayèrent de persuader à la chambre qu’il convenait de dissimuler derrière un changement dans l’organisation judiciaire la brutalité de l’épuration ; ils échouèrent tour à tour. Il n’y aurait nul intérêt à démêler ici l’écheveau confus de ces propositions. En février 1883, le gouvernement eut le triste courage de recommencer cette campagne. Il s’avisa de chercher au hasard un certain nombre de mesures, d’élever la compétence des juges de paix, de créer des assises correctionnelles, de réduire le nombre des conseillers nécessaires pour rendre un arrêt, de diminuer le nombre des classes de tribunaux, de supprimer quelques chambres, d’augmenter les traitemens et de créer un conseil supérieur de la magistrature. Derrière cette longue série de modifications, qui formaient une sorte de rideau, se dissimulait la réduction du personnel. Le voile fut promptement déchiré : la chambre s’en chargea assez lestement. Dès le début de son examen, la commission obtint du ministère une disjonction des lois. Elle alléguait le dessein de diminuer les obstacles ; en réalité, elle courait au plus pressé. Le projet fut allégé de tout ce qui ne tendait pas à l’unique mesure poursuivie, à la réduction du personnel. « Une réforme est irréalisable avec cette chambre, répétaient les députés. Détachons quelques articles, obtenons du sénat l’épuration du personnel et nous pourrons attendre. » Tout ce qui avait servi à déguiser le projet fut ajourné ; les batteries furent démasquées, et, au mois de mai 1883, lorsque la discussion s’ouvrit, il était facile de voir que l’intérêt électoral allait primer toute autre préoccupation. Les motifs de la loi étaient d’un tel ordre que nul n’osa les exposer ouvertement. Cette équivoque risqua de compromettre l’œuvre. Des rangs du radicalisme comme de la gauche s’élevaient des voix qui attaquaient moins la mesure en elle-même que son insuffisance et le défaut de logique du projet. M. Martin-Feuillée s’attacha à les gagner par ses concessions ; il affaiblit tout ce qui avait trait à l’inamovibilité ; il écouta sans protester les paroles outrageantes de M. Madier de Montjau. Il fit si bien que la gauche se rallia lors du vote. Cependant la droite et l’extrême gauche n’étaient pas seules à faire entendre leurs voix. M. Goblet dénonçait, comme un acte révolutionnaire l’expédient qui allait ébranler les fondemens mêmes de la justice, ruiner le respect et la confiance qu’elle doit inspirer à tous ; il reconnaissait qu’il y avait encore des magistrats non républicains, mais soutenait qu’il fallait attendre leur conversion du temps et non d’une politique qui