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un gouvernement maître de sa volonté, la conduite à tenir vis-à-vis de la magistrature était toute tracée. Le renouvellement naturel des corps judiciaires assurait la transformation dans un délai assez court. Il suffisait de montrer quelque patience.

Cette vertu malheureusement n’appartient ni aux enfans, ni aux foules. La démocratie, qui est fort jeune, n’est pas patiente. Il n’y aurait que demi-mal si ses conseillers osaient lui tenir le langage qu’on tient aux enfans ; mais devant elle ils se taisent. C’est une reine que des courtisans seuls approchent et que les adulations enivrent.

Sous l’action lente du suffrage universel, les mœurs se sont transformées. Il est bon que nous pénétrions dans les couches nouvelles pour comprendre leur organisation politique et mesurer quelle était, à l’égard des juges, l’ardeur de leurs convoitises.

Il s’est formé dans les départemens des groupes d’hommes plus remuans que la plupart, de leurs concitoyens, prêts à donner une part de leur temps aux affaires publiques, qui ont fait des élections leur mission principale ; réunis en comité dès qu’une élection s’annonce, ils préparent un programme, cherchent à l’imposer au candidat et multiplient les démarches pour asservir d’avance et pour faire triompher celui qu’ils patronnent. Ce qu’a souffert le candidat n’est rien à côté des humiliations qui attendent l’élu après le succès. Loin de croire sa lâche unie avec le scrutin, le comité, qui met la vigilance au premier rang de ses devoirs, se déclare en quelque sorte en permanence. Chacun de ses membres s’agite comme la mouche de la fable. Ils correspondent avec le député, l’accablent de sollicitations, lui demandent des faveurs de toute sorte, lui imposent les charges les plus singulières. N’est-il pas leur mandataire ? Et comment trouver étonnant que leur confiance soit allée jusqu’à l’envoi de titres pour en toucher sans frais les dividendes ? Ces missions extra-parlementaires ne seraient que lisibles si elles ne marquaient le trouble jeté dans les esprits et le rôle usurpé à la suite des élections par ces importons de nouvelle espèce qui tendent à devenir les tyrans de chaque canton. On a si bien répété depuis trente-cinq ans que le peuple était le souverain maître, le juge sans appel, que tout pouvoir et tout droit émanaient de lui, que, naturellement, ces influences locales sont devenues avec le temps la source d’ambitions illimitées. Les conseils municipaux se sont peu à peu remplis de ces politiques impatiens qui contribuent à endetter les communes et à substituer la pire politique à l’administration prudente des affaires locales. Enhardis par leurs premiers succès, les plus audacieux ont franchi la porte des assemblées départementales pendant que les moins heureux