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en son pouvoir de détendre son esprit… Personne ne m’a jamais donné aussi complètement l’idée de la possession. »

Tel était l’homme dans lequel allait pendant vingt ans se personnifier la cause du Sud. Il était de la race si dangereuse en politique des fanatiques et des logiciens. Ce n’était pas le chef d’un parti : c’était l’apôtre inflexible et intransigeant d’une doctrine. Nous avons vu dans l’Exposition de 1828 la première formule de cette doctrine. Calhoun la développa de nouveau en termes plus absolus dans une « adresse au peuple de la Caroline du Sud » qui parut le 26 juillet 1831 dans le Pendleton Messniger et dans laquelle il déclarait nettement que le gouvernement fédéral ne devait être que « l’agent des états souverains. » Il lui donna son expression complète et définitive dans un troisième manifeste publié le 28 août de l’année suivante sous la forme d’une lettre au gouverneur Hamilton. On doit considérer ce document comme l’exposition classique de la théorie de la souveraineté des états, et l’on a pu dire à juste litre qu’à l’époque de la sécession le Sud n’avait fait que suivre de point en pointée programme[1].

L’auteur part de cette idée que non-seulement la constitution n’est pas l’œuvre collective du peuple américain, mais que comme corps politique le peuple américain n’a jamais existé : il soutient que l’Union n’a été établie qu’entre des états libres et indépendans et qu’il n’existe pas de lien direct et immédiat entre les citoyens d’un de ces états et le gouvernement général de l’Union. Il en conclut qu’il appartient à chaque état comme membre de l’Union et en vertu de sa souveraineté de déterminer, en ce qui concerne ses citoyens, l’étendue des obligations qu’il a contractées, et, lorsqu’il considère un acte du gouvernement fédéral comme inconstitutionnel, de le déclarer nul et de nul effet, cette déclaration devant être obligatoire pour tous les citoyens de l’état. Quant au gouvernement fédéral, aucune disposition de la constitution ne l’autorise à intervenir soit par la force, soit par un veto, soit par une procédure judiciaire quelconque, pour paralyser l’exercice de la souveraineté d’un état. Il lui serait donc impossible de faire exécuter légalement dans les limites d’un état un acte nullifié, tandis que cet état a le droit de faire représenter légalement et pacifiquement sa déclaration de nullification. Il ne dépendrait pas même de la majorité des états d’imposer leur volonté à celui d’entre eux qui aurait résisté à une mesure inconstitutionnelle ; et devant l’abus de la force il resterait à l’état opprimé une ressource suprême, la sécession.

C’était le dernier mot et ce devait être trente ans plus tard la conséquence fatale de la doctrine de la nullification.

  1. Dr von Holst, J.-C. Calhoun, p. 98.