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d’imprimerie. Il s’était établi dans le New-Hampshire, y avait tour à tour tenu une table d’hôte et dirigé un journal, et avait conquis pied à pied aux doctrines démocratiques cet état qui avait été longtemps la forteresse du fédéralisme. C’était un personnage jaloux et haineux, indifférent au choix des moyens, uniquement préoccupé du succès et prêt à tout sacrifier à ses rancunes et aux intérêts de son parti.

A ceux qui demandaient quels allaient être les principes de l’administration nouvelle, le Télégraphe des États-Unis avait répondu d’avance sans même attendre l’inauguration du président. « Nous ne savons pas, écrivait le 2 novembre 1828, le rédacteur de ce journal, quelle sera la ligne politique générale de Jackson ; mais nous tenons pour certain qu’il saura récompenser ses amis et châtier ses ennemis. » Vulgaire et cynique programme que Jackson allait fidèlement remplir et qu’un de ses partisans, le démocrate Marcy, devait résumer dans cette brutale formule : Aux vainqueurs les dépouilles des vaincus !

Ce système des dépouilles, qu’avaient récemment inauguré les politiciens de l’état de New-York et qui faisait des emplois publics le salaire des services électoraux, était une nouveauté dans le gouvernement des États-Unis. Le droit de nomination et de révocation des fonctionnaires, attribué au président par la constitution, était un de ceux dont Washington et ses premiers successeurs avaient usé avec le plus de réserve et de scrupules. Washington avait porté dans l’exercice de ce droit les principes de haute moralité et les délicatesses de conscience qui présidaient à tous ses actes. Uniquement préoccupé de l’intérêt du service public lorsqu’il avait à disposer d’un emploi, il n’avait jamais hésité à préférer un adversaire politique d’une valeur incontestée à un ami d’une aptitude médiocre. « Mes sentimens personnels, écrivait-il dans une lettre restée célèbre, n’ont rien à faire ici ; je ne suis pas George Washington, je suis le président.des États-Unis : en tant que George Washington, je voudrais faire à cet homme tout le bien qui est en mon pouvoir ; comme président des États-Unis, je ne puis rien pour lui. »

Plus accessible aux suggestions de l’esprit de parti, Jefferson avait néanmoins trop de perspicacité et de sens politique pour consentir à subordonnera des préoccupations de cette nature les intérêts supérieurs et permanens d’une administration régulière. Il estimait, ainsi qu’il l’écrivait à l’attorney-general Lincoln, que, pour renouveler le personnel dans l’esprit du gouvernement nouveau, il fallait attendre les vides que produiraient nécessairement la mort, les démissions ou les révocations prononcées pour des causes professionnelles. « Il en résultera, disait-il, moins de