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caractères et la vieille originalité féodale. De là, dans les écrivains de ce temps-là, dans Corneille et dans Pascal surtout, ce mélange de hardiesse et de noblesse, de liberté, de familiarité et de grandeur, précisément ce qu’on a reproché à nos écrivains de n’avoir pas eu parce qu’on ne voyait la littérature classique que dans Racine et Boileau. Car est-ce à Pascal, est-ce à Bossuet, est-ce à Mme de Sévigné, est-ce à Molière, est-ce à La Fontaine qu’aurait manqué ce caractère de naïveté et de familiarité que l’on croit manquer à notre littérature, tandis que ce qui domine précisément dans tous ces écrivains, c’est le naturel ? Cet élément, ils le devaient, suivant Cousin, aux traditions viriles et énergiques de la première moitié du siècle, tradition que l’influence de la cour de Louis XIV n’avait pas encore eu le temps d’amollir et d’amortir. Par cette distinction entre les deux XVIIes siècles Victor Cousin introduisit donc, à ce qu’il nous semble, un élément nouveau dans la critique littéraire. Il montrait que le vrai classique comprenait tous les élémens du beau, le naturel et la force aussi bien que la pureté et la perfection, sans qu’il fût besoin, pour expliquer ce fait, d’avoir recours à l’hypothèse spirituelle, mais forcée, du romantisme des classiques.

Un autre trait remarquable à signaler dans la critique littéraire de Victor Cousin, c’est la précision mâle et forte avec laquelle il caractérise tous nos grands écrivains et le jugement qu’il porte sur leur manière d’écrire. De nos jours, le champ de la littérature s’est agrandi, et c’est un véritable progrès ; mais aussi elle a un peu perdu son originalité propre. Elle s’est mêlée à l’histoire, à l’érudition, à la psychologie, à la morale, à la philosophie. Mais on oublie souvent que la littérature, prise en elle-même, est un art, comme la peinture et la musique. Sans doute, dans le sens large, tout ce qui est écrit fait partie de la littérature ; sans doute, la littérature est l’expression des mœurs et de la société ; elle est une partie de l’histoire de l’esprit humain ; à tous ces points de vue, la littérature peut comprendre tout ce qui intéresse les hommes ; mais, dans le sens propre, elle ne comprend que ce qui est écrit avec art. Il y a un art d’écrire comme un art de peindre et de dessiner. Il y a des formes littéraires comme il y a des formes plastiques. Or l’art d’écrire, c’est le style. Est écrivain quiconque a du style ; n’est pas écrivain quiconque n’en a pas. Or Victor Cousin avait au plus haut degré le sentiment du style. Il aimait passionnément et jugeait merveilleusement les beautés du style. Il caractérisait de la manière la plus ferme et la plus concise le génie propre de nos grands écrivains. Dans son Rapport sur Pascal, dans son chapitre sur l’Art français, ajouté en 1853, à son livre du Vrai, du Beau et du Bien, dans son écrit sur le Style de Jean-Jacques