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de vue philosophique, de poser pour la première fois en France la question panthéistique.

Cette question, en effet, n’avait jamais été clairement et nettement posée dans la philosophie française. Au XVIIe siècle, par exemple, on comprenait si peu la question du panthéisme, que Fénelon combattait, sous le nom de spinozisme, un système qui n’était pas du tout celui de Spinoza, et il lui opposait une doctrine qui ressemblait beaucoup plus au spinozisme que celle qu’il combattait. Un seul penseur, à cette époque, a bien vu le nœud de la question : ce fut Mairan, dans sa discussion avec Malebranche, où il le presse de lui faire toucher au doigt la différence de son système et de celui de Spinoza. Mais cette correspondance de Malebranche et de Mairan était restée inconnue, et assurément, quoique fatigué et irrité des objections de Mairan, Malebranche est mort sans avoir eu la moindre conscience de son affinité avec celui qu’il appelait a le misérable Spinoza. » Au XVIIIe siècle, ni Voltaire ni même Diderot n’eurent connaissance de la question panthéistique : on confondait alors le panthéisme et l’athéisme. Le mot de panthéisme ne se trouve seulement pas dans l’Encyclopédie. Cette question est née en Allemagne, lors du grand débat de Jacobi et de Mendelssohn sur le spinozisme’ de Lessing. En France, au commencement de ce siècle, Mme de Staël parlait de panthéisme en parlant des philosophes allemands ; mais le point de vue panthéistique était absolument ignoré de la philosophie française. Ce qui le prouve, c’est que, dans la controverse religieuse, si variée et si puissante, qui eut lieu de 1815 à 1830, il n’est jamais fait allusion au panthéisme, et le mot n’est pas même prononcé. L’abbé de Lamennais, le grand controversiste de l’époque, ne parle que de déisme et d’athéisme, jamais de panthéisme.

Le principe panthéistique a donc été posé en France pour la première fois par Victor Cousin dans la préface de 1826 et dans la fameuse proposition : « Dieu, nature et humanité. » Ce fut sur le sens de cette proposition que la discussion s’établit et que Victor Cousin fut amené peu à peu à en corriger et même à en retirer les principaux élémens. Ce serait une pensée superficielle de ne voir dans cette querelle qu’un débat politique et la question de se mettre en règle avec un pouvoir ombrageux et inquiet, qui surveillait avec malveillance, et au grand péril de la philosophie, l’enseignement universitaire. Non, il y avait un problème philosophique, à savoir de déterminer avec le plus de précision possible les rapports de Dieu et du monde, de l’infini et du fini. Ce n’est pas tout de soutenir le principe de l’unité de substance (que cette substance s’appelle être, liberté, amour, pensée, comme on voudra) ; il reste