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le Vrai, le Beau et le Bien une vue d’ensemble de son système. Mais ce qu’il a donné plus tard sous le titre d’Histoire générale de la philosophie n’était en réalité qu’un préambule ; or ce qui peut être solide en tant qu’introduction paraîtra vague et superficiel comme ouvrage séparé. Dans le fait, l’histoire générale de la philosophie n’avait été autre chose que le préambule du cours sur Locke : elle se composait de douze leçons, qui avaient rempli le premier semestre du cours : les leçons sur Locke terminèrent l’année[1]. À ce point de vue restreint, l’Histoire générale est un très bel ouvrage. L’auteur y cherche surtout une classification des systèmes ; il en propose une devenue célèbre et qui reste encore comme la plus plausible et la plus rationnelle que l’on puisse essayer. Il ramène tous les systèmes à quatre principaux. On peut distinguer d’abord deux grands points de vue philosophiques essentiellement différens : d’un côté, l’élément de la sensation avec tous ses caractères, le phénoménal, le multiple, le fini, le passager, etc. ; de l’autre, l’unité, l’identité, l’infini, la substantialité. De là deux classes diverses de systèmes toujours en opposition : le sensualisme et l’idéalisme. Au sensualisme se rattachent le fatalisme, le matérialisme, l’athéisme ; à l’idéalisme se rattache le spiritualisme à tous ses degrés. De la lutte de ces deux systèmes, dont aucun ne réussit à vaincre l’autre, naît le doute : de là un nouveau système, le scepticisme ; et bientôt de la lassitude du doute et du besoin de croire, qui est inhérent à l’âme humaine, sort un quatrième et dernier système qui est le mysticisme.

On peut reprocher sans doute à cette doctrine d’être trop générale et trop vague, et de ne pas tenir compte des nuances : mais il ne faut pas oublier que c’était le goût, et j’ajoute le besoin du temps. On n’aimait alors que les généralités. Voyez les formules d’Auguste Comte, la théorie des trois états, qui serre si peu les phénomènes ; la distinction des époques critiques et des époques organiques dans le saint-simonisme ; la souveraineté de la raison dans l’école doctrinaire. C’était alors, dans toutes les écoles, une tendance aux formules abstraites, aux généralisations démesurées. Tout en signalant le vice de ces grandes généralisations, il faut aussi en comprendre la raison et la signification. Dans ce renouvellement universel des sciences et de la pensée qui a caractérisé la restauration, on avait besoin, avant d’entrer dans le détail des choses, de cadres généraux, de points de repère qui permissent de s’orienter et qui donnassent un avant-goût des résultats. Si Cousin, au lieu de ces généralités qu’on est tenté de lui reprocher

  1. Cousin ne fit pas de cours en 1830. Tout son enseignement de la deuxième période se borna donc à deux mois en 1828 et à l’année 1829.