Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/961

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’orgueil britannique souffre de ces massacres qui vont retentir si douloureusement à Londres, si l’Egypte elle-même est un peu plus désorganisée, un peu plus livrée à l’anarchie qu’elle ne l’était au moment de l’intervention anglaise, c’est sans aucun doute la faute du ministère, qui n’a su ni prévoir ni se décider à propos, — ni agir ni se retirer. C’est précisément ce qui lui crée une position si critique vis-à-vis de ses adversaires dans la lutte qu’il a aujourd’hui à soutenir devant le parlement.

Comment va se dénouer cette lutte énergiquement et habilement engagée depuis trois jours par les chefs de l’opposition dans les deux chambres, lord Salisbury et sir Stafford Northcote ? La chambre des lords a commencé par se prononcer, elle n’a point hésité à adopter une motion de censure contre le cabinet ; mais le vote des lords ne renverse pas les ministères. C’est dans la chambre des communes que la question se vide en ce moment même entre M. Gladstone et sir Stafford Northcote. Le ministère aura encore une fois sans aucun doute son vote favorable dans la chambre des communes.-Il ralliera la majorité libérale, c’est présumable ; mais on peut aisément distinguer que cette majorité, tout en soutenant M. Gladstone, n’est point sans avoir des doutes sur la politique égyptienne du gouvernement, et même avec un succès de scrutin le ministère n’est sûrement pas au bout de ses épreuves. L’Egypte reste pour lui un danger perpétuel tant qu’on ne sera pas arrivé à rétablir une certaine situation à demi rassurante dans la vallée du Nil, et cette situation ne paraît vraiment pas près d’être rétablie. Pour le moment, tout semble dépendre de la mission de Gordon-Pacha, qui serait chargé de négocier avec les tribus du Soudan. D’un autre côté, le gouvernement anglais vient d’envoyer des forces sur les bords de la Mer-Rouge, à Souakim, soit pour dégager les garnisons les plus rapprochées, soit pour appuyer les négociations de Gordon-Pacha. On a cru arriver ainsi à limiter le danger de l’insurrection du Soudan ; mais ce n’est pas la certainement la solution de la question égyptienne. Le ministère reste dans des conditions d’autant plus difficiles que l’opinion anglaise se sent sous le poids d’un véritable mécompte qui la froisse et l’irrite. Les Anglais avaient vu devant eux cette riche proie de l’Egypte ; ils avaient cru qu’il n’y avait qu’à paraître sur le Nil, à établir l’influence britannique, à régner sous le nom d’un khédive docile. Ils n’avaient trouvé aucune opposition en Europe. Tout leur semblait facile. Aujourd’hui les embarras sont venus, tout s’est aggravé, — et il est clair que ce n’est que par un grand effort qu’on peut relever dans la vallée du Nil l’ascendant britannique.


CH. DE MAZADE.