Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/935

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Farnèse, fut enchanté de prendre du service et partit pour les Flandres. La guerre avait été déclarée le 7 décembre ; l’archiduc fit son entrée solennelle à Bruxelles ; il y fut reçu avec les mêmes applaudissemens qui avaient accueilli don Juan bien peu auparavant.

Quand don Juan se retira de Namur, il n’avait guère avec lui que quatre mille hommes, composés de trois régimens allemands, de quelques Wallons et de quelques Espagnols. A Luxembourg, son armée grossit peu à peu au nombre de vingt mille hommes. Quand le prince de Parme vint le rejoindre, il le trouva très changé, ayant perdu son air confiant et miné par un mal mystérieux qu’il avait contracté en Belgique.

Don Juan avait repris avec bonheur la vie de soldat, la seule qui lui convînt, et, autant que ses accès de fièvre le lui permettaient, il voyait à tous les détails. Les forces nationales, sortes de milices bourgeoises, ne l’effrayaient guère. Le prince d’Orange n’avait osé en prendre le commandement nominal : on l’avait attribué à un Belge, Antoine de Goignies, lequel avait conduit la charge de cavalerie qui avait assuré la victoire d’Egmont à Saint-Quentin. Goignies se replia sur Gembloux ; don Juan le surprit en pleine marche. L’honneur de la journée fut pour Farnèse, qui, menant sa cavalerie à travers des terrains détrempés par les pluies, coupa l’armée ennemie égrenée en longue colonne dans une vallée étroite et sinueuse. La panique se mit dans les rangs de l’armée des états ; les Espagnols n’eurent rien à faire qu’à les poursuivre dans leur fuite et ne s’arrêtèrent que quand ils furent las de la tuerie. Don Juan avait mis une croix sur l’étendard royal avec ces mots : In hoc signo vici Turcos ; in hoc signo vincam hœreticos. La victoire lui avait souri ; quelques villes, épouvantées, lui ouvrirent leurs portes ; trois mois après la journée de Gembloux, il était dans la partie du Hainaut qui borde la France : l’étendard espagnol flottait sur seize places fortes. Il se tenait dans son camp avec dix-huit mille hommes, prêt au combat, comptant surtout sur six mille Espagnols des vieilles bandes, entouré de mercenaires d’une valeur et d’une fidélité douteuses, n’ayant presque pas d’artillerie ni de poudre. Il n’avait plus de confident intime. Escovedo était à Madrid, déjà enveloppé des fils de l’intrigue où il allait bientôt être étouffé. On comprend mal aujourd’hui par quels artifices Antonio Perez réussit à persuader à Philippe II que don Juan était devenu un danger pour sa couronne quand ce malheureux prince, malade, prématurément usé, était plus occupé à se défendre qu’à attaquer les provinces, quand le prince d’Orange amassait contre lui de nouvelles levées, quand le duc d’Anjou se tenait tout prêt à offrir son nom et son épée aux