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Sous prétexte que sa vie était en danger et qu’on tramait contre lui toute sorte de complots, il se saisit brusquement du château de Namur ; comme lieutenant du roi, il avait assurément le droit de commander dans toutes les places fortes ; mais sa résolution n’en souleva pas moins de violentes protestations : on l’accusa de violer l’édit. Il accusa à son tour les états d’entretenir les troubles et leur demanda de licencier leurs troupes ; on négocia encore une fois, et une fois encore le prince d’Orange fut le vrai négociateur pour les états. On avait arrêté, en France, des courriers de don Juan, et le prince triomphait en montrant à ses amis quelle différence de langage il y avait entre le langage officiel de don Juan et ses dépêches secrètes. Maître de Namur, don Juan aurait voulu mettre la main sur Anvers, où commandait le duc d’Arscot ; il y avait dans la ville trois régimens allemands, dont les colonels étaient prêts à servir les projets du gouverneur ; mais les états gagnèrent les soldats avec de l’argent, les firent sortir d’Anvers et en restèrent les maîtres. La tentative d’Anvers avait fait tomber tous les masques ; don Juan, outré de colère, était enfermé dans Namur, ses courriers étaient arrêtés, il ne recevait point d’argent. Il avait envoyé Escovedo en Espagne pour obtenir quelque chose du roi ; il affectait encore, dans ses communications avec les états, un ton hautain et vainqueur ; mais les états lui répondaient avec insolence et allaient jusqu’à lui dire que, si l’empereur leur envoyait encore comme gouverneur un prince de son sang, ils espéraient que ce serait un prince légitime. Par les conseils du prince d’Orange, les bourgeois d’Anvers démolirent la citadelle, qui, pendant si longtemps, les avait tenus dans l’obéissance : Valenciennes, Gand, Utrecht rasèrent de même leurs citadelles. Les états invitèrent le prince d’Orange à venir à Bruxelles : ils demandaient à don Juan de résigner ses fonctions. C’en était trop ; il était fatigué de mots, de promesses, de mensonges ; il partit pour Marche et pour Luxembourg, où il attendit les troupes espagnoles et allemandes qu’il avait demandées. La noblesse belge n’aimait pas beaucoup plus le prince d’Orange que Philippe II ; elle désirait un gouverneur qui lui laissât tout le pouvoir : les grands jetèrent les yeux sur Mathias, le frère de l’empereur Rodolphe ; on lui offrit de venir remplacer don Juan, et Mathias n’hésita pas à accepter cette offre.

Philippe II sortit un moment de ses habitudes ; il donna des ordres plus promptement que de coutume et envoya des secours à don Juan. En même temps, il invita la duchesse de Parme à quitter sa retraite et à aller reprendre le gouvernement des provinces belges. Granvelle ne put vaincre les résistances de la princesse ; elle était vieille, elle avait la goutte, elle avait besoin de repos. Son fils, Alexandre