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états-généraux, l’abrogation des édits les plus oppressifs. Toutes les provinces s’étaient une à une liguées dans le même dessein ; il ne restait plus hors de la ligue que le Luxembourg et le Limbourg.

Don Juan se rendit de Luxembourg à Huy, dans l’évêché de Liège et négocia avec les états. Il arrivait en pacificateur, la main pleine de promesses ; il consentait à tout ce qu’on lui demandait, même au départ des garnisons espagnoles. Il demandait seulement qu’on payât l’arriéré de leur solde et que les états licenciassent les troupes qu’elles avaient levées. Plus il accordait, plus on devenait exigeant : on finit par lui demander brutalement s’il acceptait, oui ou non, les termes de la « pacification de Gand, » l’acte d’union dans lequel les soldats et les officiers espagnols étaient traités de rebelles. Cette fois, don Juan perdit patience ; il traita les négociateurs eux-mêmes de rebelles et de traîtres et saisit une sonnette d’argent pour la jeter à la tête d’un des plus insolens. On eut peine à désarmer sa colère : il céda pourtant ; pendant la nuit même qui suivit cette scène violente, il fit lever les négociateurs et leur annonça qu’il acceptait tout. Il fit seulement des réserves qui tenaient à la forme plus qu’au fond ; il fit supprimer tout ce qui pouvait sembler injurieux pour l’armée espagnole ou attentatoire aux droits souverains du roi. L’acte, ainsi amendé, reçut le nom d’édit perpétuel. Que pouvait-on faire sans argent, sans autres troupes que quelques régimens allemands ou espagnols, qui, depuis longtemps, ne vivaient que de sac et de pillage et qui étaient devenus une menace pour tout le monde ?

Don Juan avait bien compris, d’ailleurs, le caractère de la révolte : le 13 février 1577, il écrivait au roi de Marche-en-Famine : « Les Belges, s’ils sont gouvernés conformément à leurs privilèges, ne se donneront jamais à aucun autre prince, mais ils resteront obéissans à Votre Majesté et à ses successeurs. » Cependant la noblesse et les villes étaient prêtes à tout pour défendre ce qu’il nommait les privilèges : « Je ne doute pas qu’ils ne cherchent à les étendre encore autant qu’ils le pourront, et cela leur sera facile, parce qu’ils sont seuls les conseillers et les exécuteurs de ce qui se fait, et que celui qui les gouvernera, quel qu’il soit, ne pourra être qu’un soliveau entre leurs mains[1]. »

Ce rôle de soliveau ne lui convenait pas et déjà il demandait à être remplacé : « Il ne savait plus à quoi penser, si ce n’est à se faire ermite, » écrivait-il à Antonio Perez : « Ces gens et moi, dit-il au roi, en parlant des Belges, nous, ne sympathisons pas du tout. » Le 1er mars, il écrit à Antonio Perez : « Il y va de ma vie, de ma réputation, de mon âme, car si la chose tarde, je perdrai

  1. Correspondance de Philippe II, publiée par M. Gachard, t. V, p. 197.