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conformément aux anciennes coutumes, exclusion de tous avocats étrangers très impopulaires dans les provinces, conduite des affaires sans emploi de la force. Don Juan, à la fin de sa longue lettre, montrait le vrai remède pour les affaires des Pays-Bas dans une entreprise contre l’Angleterre ; les Provinces seraient toujours en révolte, tant que l’Angleterre aurait une souveraine hostile à l’Espagne. Il fallait lui donner un roi « dévoué et bien affectionné au service de Sa Majesté espagnole. » L’insinuation était claire. Don Juan allait aux Pays-Bas pour en faire une simple place d’armes, un camp retranché contre la reine Elisabeth. Escovedo, qui était porteur de cette lettre, devait s’assurer que don Juan, tout en restant dans les Pays-Bas, conserverait sa charge de général de la mer.

Don Juan, arrivé en Lombardie et sans attendre le retour d’Escovedo, prit le parti, malgré la défense de Philippe, d’aller en Espagne. Le roi ne se montra pas sévère et le reçut avec bonté. Après de longues conférences à l’Escurial, don Juan alla à Abrojo embrasser doña Magdelena de Ulloa, qu’il ne devait plus jamais revoir. Pour gagner un peu de temps, il avait résolu de traverser la France ; il prit un déguisement et se donna comme le domestique d’Ottavio Gonzaga, le frère du prince de Melfi, qui l’accompagnait ; il emportait des instructions très détaillées du cardinal Granvelle, qui avait beaucoup insisté sur la nécessité de ne rien entreprendre sans argent dans les Pays-Bas ; arrivé à Irun, il écrit encore au roi pour lui dire : « Je supplie encore Votre Majesté de m’assister de ce dont j’ai besoin, qui est de l’argent, de l’argent et encore de l’argent. »

Don Juan ne mit que sept jours pour aller à cheval d’Irun à Paris ; il vit l’ambassadeur Zuniga, partit pour Joinville, où était le jeune duc de Guise, le cousin de Marie Stuart, et de là se rendit à Luxembourg. Brantôme raconte que le jour où le prince arriva à Paris, il alla, sous un déguisement, à un bal au Louvre, et qu’il vit Marguerite de Navarre, alors dans tout l’éclat de la beauté. Peut-on croire que l’ambassadeur se soit prêté à un tel caprice et que don Juan ait couru le risque d’être reconnu quand il était si impatient d’arriver au terme de son voyage ? Arrivé à Luxembourg, où, en l’absence du comte de Mansfeld, le gouverneur, il fut reçu par M. de Naves, son lieutenant, il put quitter son déguisement ; les nouvelles qu’il y reçut durent lui enlever beaucoup d’illusions et lui montrer combien était désespérée l’entreprise où il s’était jeté. La veille du jour de son arrivée, Anvers avait été pillée par la soldatesque espagnole. La Hollande et la Zélande avaient ouvertement secoué le joug espagnol ; le 8 novembre, à Gand, le Brabant, le Hainaut, les Flandres, l’Artois, Namur et d’autres villes catholiques s’étaient joints à la résistance de la Hollande et de la Zélande. Les confédérés demandaient le retrait de toutes les troupes espagnoles, la convocation des