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occasion, don Carlos ne donna que des marques de respect à Philippe, qui lui-même ne témoigna aucune irritation contre lui. Don Carlos emmena don Juan dans ses appartemens et le garda deux heures enfermé avec lui. Que se passa-t-il dans cette entrevue ? Les uns disent que le prince rebelle chercha encore une fois à entraîner son oncle, d’autres qu’il voulut le châtier, qu’il l’attaqua avec une épée et des pistolets et que des serviteurs, attirés par le bruit, dirent les séparer. L’arrestation de don Carlos était sans doute déjà décidée ; elle eut lieu le 18 janvier, à onze heures du soir.

Au printemps de 1568, don Garcia de Toledo ayant donné sa démission de commandant en chef des flottes espagnoles, le roi conféra cette haute dignité à son frère, qui n’avait que vingt et un ans d’âge ; il lui donna un lieutenant plein d’expérience dans la personne de Requesens, le grand commandeur de Castille. Don Carlos était déjà décoré de l’ordre de la Toison d’or. Philippe prit la peine d’écrire, à don Juan une longue lettre où il lui traçait tous ses devoirs avec la minutie d’un directeur spirituel : ce petit traité de morale est des plus curieux ; il fut écrit à Aranjuez et porte la date du 23 mai 1568.

Don Juan entra tout de suite dans ses nouvelles fonctions. Il s’embarqua à Carthagène et mit son pavillon sur la galère royale, décorée de peintures représentant l’histoire de Jason et de la Toison d’or et couverte de figures allégoriques et de devises. Son escadre avait trente voiles : elle croisa sur les côtes d’Espagne et dans la Méditerranée sans rencontrer la flotte turque. Don Juan venait de revenir à Madrid, quand la cour fut mise en deuil paria mort de la jeune reine Isabelle. Les funérailles eurent lieu dans l’église des carmélites déchaussées, et don Juan estima que la place qui lui fut assignée m’était pas celle qui était due à son rang. Il en éprouva tant de mécontentement qu’il quitta Madrid et se retira au couvent franciscain de Santa-Maria de Scala-Cœli à Abrojo, près de Valladolid. C’est dans cette sévère retraite qu’il apprit la grande révolte des Maures du royaume de Grenade. Il quitta Abrojo, revint à Madrid à la fin de l’année 1568 et envoya aussitôt une lettre au roi pour lui demander le commandement des troupes qui devaient réprimer la révolte : « Je suis aussi docile aux ordres de Votre Majesté que l’argile à la main du potier. » Il brûle « du désir de châtier « ces misérables ; » personne n’agira avec plus de vigueur qu’il ne ferait, personne n’est plus soucieux de ce qui touche à la réputation, à l’honneur, à la grandeur du roi.

On avait cru d’abord que la révolte des Maures serait aisément réprimée ; Philippe avait compté que le marquis de Mondejar en viendrait aisément à bout ; mais Mondejar avait peu de monde, une véritable guerre de race et de religion avait commencé, et Philippe