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alla au-devant de lui à Laredo, en Biscaye, et le conduisit à Valladolid et au monastère de Yuste. Il finit par se fixer lui-même avec sa femme et avec don Juan à une petite distance du couvent. L’empereur admira la bonne mine de l’enfant et lui donna des témoignages d’affection. Pendant les quelques semaines qu’il vécut encore, il le reçut plusieurs fois. La veille de sa mort, il donna à un de ses valets 100 couronnes d’or pour acheter une annuité de 200 florins à Barbara Blomberg.

Don Juan n’était point arrivé à un âge où il pût comprendre la grande leçon donnée par la retraite de Charles-Quint et par l’adieu volontaire de son père à toute gloire humaine. On verra que la gloire fut au contraire la grande passion de sa vie ; encore l’aima-t-il moins pour elle-même que pour en obtenir les honneurs auxquels sa naissance ne lui donnait point droit. Quelle place occupa-t-il aux funérailles du grand empereur ? Nous ne savons ; les moines remarquèrent qu’il resta constamment debout, comme Quixada, pendant les cérémonies, qui se prolongèrent pendant trois jours entiers.

Charles-Quint avait exprimé le vœu, dans une note qui formait comme un codicille de son testament, que son fils naturel embrassât les ordres ; il demandait néanmoins que celui-ci n’y fût pas contraint. Il lui laissait, s’il ne voulait pas être d’église, une rente de 20 à 30,000 ducats assignés sur le revenu du royaume de Naples. Le soin de servir ce revenu était laissé à Philippe II, ou, à son défaut, à son fils don Carlos. La régente, doña Juana, avait un grand désir de voir l’enfant élevé par la femme de Quixada, sans trop attirer l’attention. Il fut convenu qu’on se rencontrerait à quelque grande fête, et il n’y en avait pas alors de plus populaire que les auto-da-fé de l’inquisition. doña Magdalena se rendit à Valladolid et prit place, avec sa nièce et don Juan, dans une galerie où devait passer la princesse pour se rendre à la tribune royale. doña Juana s’arrêta devant elle et demanda où était « l’inconnu. » On lui présenta l’enfant, elle l’embrassa tendrement, au grand étonnement de toute sa suite et de don Carlos, qui l’accompagnait. Don Juan dut voir l’horrible fête, la procession des pénitens et des prisonniers, quinze malheureux livrés aux flammes. Quand tout fut terminé, doña Juana invita don Juan à l’accompagner au palais : la foule, dont la curiosité était excitée, faillit étouffer l’enfant. Le comte d’Osorno dut l’enlever dans ses bras et le porter dans la voiture royale, qui l’emmena au palais.

À partir de ce jour, don Juan fut traité avec plus de cérémonie, mais on ne changea rien encore à son costume. Une lettre de Quixada, écrite à cette époque, nous apprend que le prince « avançait dans ses études avec grande difficulté ; il n’y a rien qu’il ne fasse avec autant de répugnance qu’étudier ; « monter à cheval et courir