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éternelle fidélité, soit aussi pour mettre leur honneur hors d’atteinte, car n’ayant personne pour les aider à se défendre, elles tombent aisément aux mains des libertins. Si ceux-ci, par ruse, ont violemment abusé d’elles et prouvent qu’ils les ont possédées, ils deviennent de par la loi les maîtres absolus de ces malheureuses. Aux gens du peuple les secondes noces ne sont pas défendues. La nécessité pour les pauvres d’avoir une personne qui prépare leur nourriture rend les seconds mariages assez nombreux.


IV


Les Coréens sont divisés en trois classes : nobles, gens du peuple, esclaves. La noblesse est héréditaire. Les enfans naturels étant devenus très nombreux, un décret royal, édicté en 1857, leur a donné le droit d’aspirer comme les enfans légitimes à toutes les dignités. Les nobles descendent pour la plupart des guerriers qui, il y a cinq siècles, ont placé sur le trône le fondateur de la dynastie actuelle. Les services publics sont monopolisés par eux, les traitemens de leur fonctions sont les uniques moyens de leur existence. Ils ont, en outre, certains privilèges tels que celui de ne pas se voir inscrits sur les rôles de l’armée, d’être inviolables dans leurs demeures et leurs personnes, et de porter chez eux le bonnet de crin qui est le signe distinctif de leur rang. En Corée, les nobles sont si nombreux, ils savent si bien s’unir pour conserver les privilèges de leur caste, que ni le peuple, ni les mandarins, ni le roi ne peuvent lutter contre eux avec avantage. Qu’un grand seigneur n’ait pas d’argent, il envoie ses valets saisir un marchand ou un laboureur et lui en demande. Si celui-ci s’exécute de bonne grâce, il le relâche ; sinon il est emprisonné, privé d’alimens et battu jusqu’à ce qu’il ait donné la somme qu’on lui réclame. Dans les auberges, on n’ose ni interroger un noble, ni même le regarder. On ne peut fumer devant lui. S’il sort à cheval, un valet conduit sa bête par la bride, aussi n’en voit-on jamais galoper. La noblesse est la grande plaie du pays. Les missionnaires ont connu de ces grands seigneurs qui ne mangeaient du riz qu’une fois tous les trois ou quatre jours, passaient d’horribles hivers sans feu et presque sans habits, et cependant refusaient obstinément de se livrer à quelque travail par crainte de déroger.

Entre la noblesse et le peuple proprement dit se trouve la classe moyenne, qui ne se rencontre que dans la capitale. Elle comprend des familles qui, depuis plusieurs générations, remplissent auprès du gouvernement certaines fonctions spéciales, telles que celles d’astronomes, d’interprètes et de médecins. Au-dessous de cette classe vient le peuple, qui n’a absolument aucune influence politique. Un homme de cette catégorie peut, il est vrai, comme nous le verrons