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corps. S’il a un abcès, il doit, le malheureux, en mourir, car pas un médecin coréen ne pourrait l’opérer sans s’exposer à être décapité. En 1800, le roi Tieng-tsong mourut, faute d’un coup de lancette qui l’eût sauvé. En somme, les rois de la Corée sont des rois fainéans, vieillis avant l’heure où la vie décline ; des qu’ils ont atteint l’âge de douze ans, on les voit se confiner dans leur sérail, où leurs ministres, pour gouverner à leur place, les laissent aux mains de jeunes femmes. Une singulière coutume les oblige à nourrir les pauvres de la capitale. Le recensement de 1845 comptait quatre cent cinquante vieillards ayant droit à l’aumône royale. Les princes du sang, les frères, oncles et neveux du monarque, ne jouissent d’aucun pouvoir. On les tient pour suspects, et, dans les soixante dernières années, trois princes ont été décapités. Les grandes familles ont absorbé presque toute l’autorité. Un Coréen, spirituel caricaturiste, a représenté son pays sous les traite d’un homme dont la tête et les jambes sont complètement desséchées, tandis que la poitrine et le ventre, gonflés outre mesure, menacent de crever. La tête, c’est le roi ; les jambes et les pieds représentent le peuple ; la poitrine et le ventre signifient les fonctionnaires et la noblesse, qui, en haut, réduisent à rien le roi, et, en bas, sucent le sang du peuple.

Les palais royaux, — de misérables maisons, dont un boutiquier parisien ne voudrait pas, — sont remplis de femmes et d’eunuques. Les premières sont prises un peu partout et de force pour l’agrément du roi ; les seconds sont admis auprès de lui après des examens spéciaux attestant leur habileté à débrouiller les fils des complots féminins. On leur concède, s’ils remplissent bien leur charge, de très hautes dignités. Le plus étrange, c’est que ces eunuques sont mariés, qu’ils ont plusieurs femmes, et des enfans eunuques qu’ils font chercher par leurs émissaires dans le pays. Où trouve-t-on ces jeunes infirmes ? Les missionnaires assurent que l’usage de la mutilation est inconnu. Mais il arrive parfois que des petits garçons sont estropiés par les chiens, ces animaux étant comme nous l’avons vu, chargés de tenir propres les enfans à la mamelle.

Huit routes principales parcourent la péninsule. La capitale, dont le nom véritable est Han-lang et non Séoul[1], comme on s’obstine à l’appeler, se trouve placée presque au centre du royaume, un peu à l’ouest, sur la route du grand village de Kei-Kido. À l’exception de quelques rues assez larges, la ville de Han-lang ne se compose que de ruelles tortueuses où l’air ne circule pas. Elle est entourée d’un mur d’enceinte, d’une hauteur moyenne de quarante

  1. Séoul, en coréen, veut dire capitale.