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graves[1]. » — « Et quel n’a pas été notre découragement, dit-il encore, lorsqu’à partir de la dixième, nous avons eu à relever des absurdités, des preuves d’ignorance crasse en grand nombre ! C’est par des prodiges d’indulgence que nous avons pu accorder de mauvais passables à des copies renfermant jusqu’à quinze unités de fautes, et pousser l’admissibilité jusqu’à 45 pour 100… Après huit ans de dictionnaires éventrés et de textes quelquefois fort savans barbouillés ou lacérés, seize rhétoriciens sur vingt sont incapables de distinguer nettement les mots agmen, acies, exercitus, etc., d’appliquer dans une version la règle : Puer egregia indole, de démêler un pronom relatif et conjonctif entre deux verbes. Ce n’est évidemment pas la faute des maîtres, dont l’instruction, grâce aux généreux efforts du gouvernement, secondé par l’enseignement très solide des facultés, va se développant et se précisant de jour en jour jusque dans les plus modestes collèges. Peut-être faut-il s’en prendre aux méthodes nouvelles, qui, par la suppression ou l’amoindrissement des exercices les plus astreignans de latinité, du vers et surtout du thème latin, n’invitent qu’aux demi-efforts, à l’explication superficielle, à la lecture facile et courante qui donne l’illusion du savoir plutôt que la réalité. » Et comme remède pratique, après cet aveu pénible, veut-on savoir ce qu’avec une indépendance qui l’honore grandement M. Hild recommande aux maîtres de son ressort ? Il les invite à « rentrer par des voies détournées, dans la pratique d’un enseignement grammatical qui a fait ses preuves et que rien ne remplacera jamais. » Est-ce assez clair et croit-on qu’un simple professeur de faculté qui dépend de son recteur, lequel appartient, corps et âme, à M. le directeur de l’enseignement supérieur, qui lui-même… oserait s’élever avec cette force contre les nouveaux programmes et les nouvelles méthodes, si ces programmes et ces méthodes étaient seulement défendables ? Il est clair que non, et pour s’en convaincre, il suffirait de parcourir la collection de ces bulletins de faculté ; on y trouverait aisément, sous des formes diverses, quelquefois avec plus de ménagemens dans les mots, toujours avec la même conviction, l’expression répétée des mêmes plaintes et des mêmes regrets.

Je sais bien qu’on pourra me faire une objection et je l’entends : c’est que l’opinion des facultés de province n’est pas aussi probante qu’elle en a l’air ; c’est que les résultats constatés par elles ne sont que des résultats provisoires, que les nouvelles méthodes ont eu plus de peine à s’implanter dans les lycées des départemens que dans ceux de Paris et n’y sont pas interprétés par un

  1. Bulletin de la faculté des lettres de Poitiers (décembre 1883).