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se résignât, pour alléger des programmes déjà trop surchargés de matières, à prendre quelques heures par semaine au latin, pour les répartir d’une façon plus équitable entre d’autres branches de connaissances plus négligées. Mais le détrôner comme on l’a fait, le subalterniser si complètement au français, le traiter sur le même pied que les sciences et l’histoire, lui enlever deux années sur huit, et cependant lui prendre ses meilleurs exercices, ou les réduire au point d’en changer complètement le caractère, c’étaient là des innovations bien risquées ; et l’on concevrait difficilement qu’une réunion d’hommes graves s’y fût laissé entraîner, si nous n’avions déjà tant d’exemples de la toute-puissance des bureaux en France. Oui, il ne s’est pas rencontré dans cet aréopage universitaire une majorité assez indépendante et assez résolue pour arrêter au passage cette mutilation de nos vieilles études classiques. La coalition des bureaux avec les membres fonctionnaires et les jeunes du conseil l’a emporté : la déchéance du latin a été décrétée non par un coup d’autorité ou par une surprise, — la blessure n’eût pas été si profonde, — mais après mûres délibérations entre gens auxquels ne manquaient certes ni les lumières ni la compétence. Par un raffinement de coquetterie, c’est au premier conseil élu de l’université qu’on a demandé le sacrifice raisonné des plus vieilles et des plus nobles traditions universitaires. M. Jules Ferry venait déjà d’exécuter les jésuites, et de cette vilaine besogne il avait rejailli sur sa personne plus d’éclaboussures que d’honneur ; il ne lui a pas déplu de trouver des collaborateurs dans la nouvelle œuvre de destruction qu’il méditait. Et il les a trouvés ! L’urgence de cette destruction était-elle donc si démontrée ? La cause du latin n’était-elle plus défendable ? Est-ce que, par hasard, il serait devenu ridicule et suranné de penser avec tout le XVIIe et les meilleurs esprits du XVIIIe siècle, avec Bossuet et Racine, avec Fénelon et Rollin, que, pour élever une intelligence, orner un esprit, former une âme, la palme restera toujours à L’étude des langues et des littératures anciennes ? Et serait-ce donc une hérésie d’estimer plus, au point de vue de la haute culture morale que nos lycées doivent à la jeunesse, une page de Tacite ou de Virgile qu’un théorème de géométrie ? La thèse est vieille, sans doute, et il faut un certain courage, aujourd’hui, pour la défendre contre les prétendus progrès de la pédagogie moderne. Mais en quel temps et sous quel régime sa supériorité s’est-elle marquée d’une façon plus