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II

Nous croyons avoir démontré sans réplique notre première proposition, à savoir que Victor Cousin a fait pour l’enseignement philosophique ce que Descartes a fait pour la philosophie elle-même, qu’il l’a séparé et affranchi de la théologie. Il nous reste à chercher ce qu’a été cet enseignement en lui-même, quel a été son objet, son contenu. C’est là qu’on nous attend pour signaler cet enseignement dogmatique, figé, d’une orthodoxie étroite et intolérante, que l’on appelle la philosophie de M. Cousin. Ici encore nous n’avons rien de mieux à faire que de consulter et rappeler les faits.

En général, pour savoir quel est le caractère d’un enseignement philosophique, il faut consulter ses programmes. Sans doute, ce n’est pas là un critérium absolu, car les programmes ne sont pas toujours exactement suivis, mais ils indiquent au moins la tendance générale, la moyenne des idées et surtout la pensée de celui qui les fait et la direction qu’il entend imprimer à l’enseignement. Nous étudierons donc le programme de philosophie voté par le conseil de l’université en 1832, et qui a servi de règle pendant tout le temps de l’enseignement philosophique de M. Cousin ; mais voyons d’abord ce qui l’a précédé.

Il n’y eut pas de programme de philosophie dans l’université jusqu’en 1823. Jusque-là, en effet, l’enseignement avait été tellement irrégulier qu’on ne pensa pas d’abord à lui fixer sa loi ; on crut qu’il n’y avait qu’à reprendre les traditions du passé, représentées, nous l’avons vu, par la Philosophie de Lyon. Mais déjà une philosophie nouvelle, celle de Royer-Collard et de Cousin, commençait, avec celle de Laromiguière, à se glisser dans les classes, grâce aux jeunes générations qui sortaient de l’École normale. On voulut couper court à ces tentatives d’indépendance et de nouveauté. L’École normale, nous l’avons dit, fut dissoute ; l’enseignement de la philosophie dut se faire en latin, l’argumentation scolastique fut rétablie et la philosophie fut assujettie à un programme sous ce titre : Theses logicœ, metaphysicœ et ethicœ. Il fut rédigé par le doyen de la faculté de théologie, M. l’abbé Burnier-Fontanelle, et reproduisait en général les divisions et la matière de la Philosophia Lugdunensis. A la suite de la révolution de 1830, Victor Cousin, après avoir aboli l’usage du latin dans l’enseignement philosophique, fit rédiger par le conseil de l’université un nouveau programme qui ne fut