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n’appartenait qu’au ministre, assisté du conseil de l’instruction publique. L’amendement était donc écarté ; mais, en le rejetant, la commission le remplaçait par un autre bien plus dangereux encore et dont voici la teneur : « La matière et la forme des examens du baccalauréat ès-lettres seront déterminées par un règlement arrêté en conseil royal de l’instruction publique. Ledit règlement sera soumis à l’approbation du roi et converti en ordonnance royale rendue dans la forme des règlemens d’administration publique. » Sous cette forme technique et administrative se cachait une révolution des plus graves. Que signifiait, en réalité, cet amendement ? Il signifiait que le pouvoir de faire des programmes, qui, en principe, appartient souverainement au conseil de l’instruction publique, présidé par le ministre, était transporté au conseil des ministres et au conseil d’état. Le pouvoir pédagogique était sacrifié au pouvoir politique. La question des limites de la philosophie était renvoyée à un cabinet dont le président était le maréchal Souk et où se trouvaient, par hasard, deux membres de l’université, M. Villemain et M. Guizot, mais pas un philosophe. En entendant cette proposition, Victor Cousin bondit, et, sous l’empire de la plus vive émotion, il fit un de ses plus éloquens et plus spirituels discours, qui eut alors un grand retentissement :

« En vérité, je marche d’étonnement en étonnement. Hier et avant-hier, j’avais vu mettre en suspicion le règlement et le programme du conseil relatif à l’enseignement philosophique. Aujourd’hui je vois mettre en suspicion la puissance même qui a fait les programmes, qui a fait les règlemens et qui peut les réformer. Enfin je viens d’entendre M. le ministre de l’instruction publique adhérer à l’amendement… Je résiste de toutes mes forces à cette innovation. Vous livrez l’instruction publique à la politique. Un pouvoir politique fera le programme du baccalauréat ès-lettres. Ce programme entraînera tous les règlemens d’étude, et voilà le vent de la politique agitant tous nos établissemens. Citez-moi un seul cas où l’état se soit adressé au conseil d’état pour faire un règlement d’études ou un programme d’examen. Grâce à cet amendement, voilà les questions philosophiques transportées de l’humble conseil de l’université dans le grand conseil des ministres. Il faudra que MM. les ministres délibèrent sur ces questions. La tâche est nouvelle pour eux et quelque peu singulière. On verra donc MM. les ministres et, entre autres, un illustre personnage devant lequel je parle et dont la responsabilité sera particulièrement engagée, débattre l’ordre, la convenance, la clarté, l’exactitude, la parfaite précision dans l’idée et dans les termes des questions philosophiques. Je ne me permettrai pas de donner un conseil à MM. les