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nous proclamons funeste la direction que, depuis plus de quatorze ans, vous vous efforcez avec tant de persévérance, avec tant d’ardeur, d’imprimer à l’enseignement philosophique en France[1]. » Que lui reprochait-on donc ? Était-ce d’enseigner un déisme officiel ? Non, mais bien au contraire d’avoir répandu et protégé un enseignement panthéiste et antichrétien.

La doctrine d’une philosophie laïque et indépendante était bien loin, à cette époque, d’avoir rallié tous les esprits ; au contraire, elle étonnait même les plus modérés et les plus sages. Un des hommes les plus éclairés et les plus considérés d’alors, que personne ne peut accuser d’esprit réactionnaire exagéré (nous l’avons vu finir comme sénateur républicain), M. le comte de Montalivet se montrait si étonné de cette doctrine que, sans aucune préparation et tout en reconnaissant son incompétence sur ces hautes questions, il ne pouvait s’empêcher d’intervenir : « L’honorable M. Cousin, disait Montalivet, a fait une déclaration nette et explicite, qui n’avait encore été faite nulle part, à savoir que, de peur d’inquiéter une seule conscience, il fallait que l’enseignement philosophique fût entièrement étranger au dogme, de telle sorte que l’université ne pourrait pas même se dire chrétienne aujourd’hui. » Remarquez ces expressions. En 1844, c’était, aux yeux de M. de Montalivet, une déclaration entièrement nouvelle et dont il n’avait jamais entendu parler, que l’enseignement philosophique devait n’avoir aucun rapport avec le dogme chrétien ; et, pour lui, c’était M. Cousin qui faisait cette déclaration pour la première fois, et cela avec assez d’énergie pour amener M. de Montalivet à la tribune et le faire parler sur un sujet où il se déclarait lui-même incompétent. Ainsi, à cette époque, des hommes pratiques, consommés dans les affaires, d’une éducation toute moderne, sans aucune connivence avec la droite cléricale, n’avaient pas encore prévu cette attitude de la philosophie et cette conséquence de la sécularisation de l’état. Ils reculaient même devant cette conséquence, quoiqu’il semblât bien que la charte eût tranché la question en abolissant la religion d’état. Mais un pair de France, M. le marquis de Barthélémy, faisait remarquer que l’article 38 du décret de 1808, constitutif de l’université, n’avait pas été abrogé. Or cet article portait que « les écoles universitaires devaient avoir pour base les préceptes de la religion catholique. » Il concluait que, jusqu’à une nouvelle loi, tout dans l’université doit être orthodoxe ; tout doit respirer l’orthodoxie. » Et cependant, ajoutait-il, « on sait que l’université nomme non-seulement des hommes de toute religion, mais

  1. Discours de M. de Ségur-Lamoignon.