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prêtres à notre tête, merveilleux apprentissage de cette charité civile qu’on appelle le patriotisme ! » C’est là, — reconnaissons-le aujourd’hui, — une sorte d’intolérance, mais c’est de l’intolérance en sens inverse de celle qu’on impute d’ordinaire à Victor Cousin ; c’est l’intolérance de l’esprit rationaliste, de l’esprit laïque contre l’esprit catholique ; c’est la subordination de l’église à l’état, de la foi à la raison. Je ne juge pas la doctrine ; je me contente de constater historiquement le point de vue auquel Cousin était placé, et c’était celui d’une philosophie entièrement affranchie de toute autorité théologique.

A plusieurs reprises, et toujours avec plus de force, il revint dans cette discussion sur ce principe de l’enseignement laïque de la philosophie. « Au fond, disait-il, ce n’est pas l’étendue excessive des cours de philosophie qu’on regrette… Non, ce qui irrite certaines prétentions contre les cours de philosophie, c’est leur caractère laïque et séculier… On s’en va répétant, moitié sérieusement, moitié plaisamment : Qu’est-ce que l’enseignement philosophique que donne l’université ? C’est un enseignement qui n’est pas juif, qui n’est pas protestant, qui n’est pas non plus catholique. Qu’est-il donc ? Je réponds simplement : C’est un enseignement philosophique, et la réponse est très bonne. Les professeurs de philosophie n’enseignent point et ne doivent point enseigner la théologie. Il y a, pour cet enseignement particulier, des maîtres spéciaux et éprouvés, présentés et surveillés par les autorités religieuses compétentes. Les professeurs de philosophie n’usurpent point sur le domaine religieux confié aux ministres des différens cultes. Ils se renferment dans le domaine des grandes vérités naturelles qui, grâce à Dieu, sont communes à tous les cultes et n’appartiennent à aucun en particulier. Voilà ce qu’on voudrait changer, et voilà pourquoi on prétendait hier[1] qu’il fallait appuyer l’enseignement de la philosophie, vous l’avez entendu, sur le dogme catholique… Toutes les fois que nous entendons accuser l’enseignement philosophique d’être vague, vaporeux, sans caractère religieux déterminé, sachez que ce qu’on vous demande, c’est que le caractère religieux soit si bien déterminé que ce soit celui d’une communion particulière qui repoussera les élèves des autres communions… L’état, disait M. Guizot, l’état est laïque ; l’université, qui représente l’état, doit être laïque. Donc, messieurs, les enseignemens que donne l’université doivent être laïques aussi… L’université a voulu et veut toujours que l’enseignement philosophique de ses écoles ait un caractère séculier. »

  1. Discours du marquis de Barthélémy.