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les matières les plus délicates et les plus hautes à d’autres jeunes gens, à peine moins âgés qu’eux, et cela à huis-clos, non sous l’œil du public comme dans nos facultés, mais dans des classes fermées où personne ne pénétrait qu’une fois par hasard. On avait bien les cahiers des maîtres, mais non leur parole, leurs conversations, les discussions avec les élèves, toujours si habiles à tendre des pièges au maître et à l’attirer sur le terrain défendu. Et cette jeunesse du maître, qui était un si grand péril, était une nécessité : car il faut entrer jeune dans la carrière, autrement elle n’est plus une carrière ; et toutes les fois qu’on a voulu prendre des précautions contre l’âge, on a arrêté le recrutement.

Nous n’avons pas dit encore la difficulté la plus grave qui pesait alors sur l’université : c’était le monopole. On a oublié généralement qu’à cette époque on ne pouvait se présenter au baccalauréat ès-lettres sans avoir fait un an de rhétorique et un an de philosophie dans un lycée de l’état. Or, comment imposer, d’une part, aux familles l’enseignement universitaire et, de l’autre, leur enseigner des doctrines que l’on pût appeler irréligieuses ? Ne serait-ce pas à la religion de l’état substituer l’irréligion de l’état, et faire de l’état l’instrument d’une propagande antireligieuse ? Toutes ces questions que nous voyons s’agiter sous nos yeux d’une manière si ardente en matière d’enseignement primaire, étaient alors discutées avec la même passion à propos de la philosophie dans l’enseignement secondaire.

Enfin, ce qui compliquait le plus la question, c’étaient les doctrines exposées précédemment soit dans les cours, soit dans les journaux, soit dans les livres par ceux qui prenaient possession de la direction de l’instruction publique et de la philosophie. Pour la religion, c’était Jouffroy, qui avait écrit : Comment les dogmes finissent ; c’était Cousin, qui avait dit que la philosophie, bien loin de détruire la foi, l’éclairé et la féconde, et l’élève doucement du demi-jour de la foi chrétienne à la grande lumière de la pensée pure. Pour la philosophie, c’était encore Jouffroy, disant que le problème de l’âme est un problème prématuré ; c’était Cousin, disant que si Dieu n’est pas tout, il n’est rien. Les deux grands maîtres de la philosophie officielle représentaient donc, l’un un demi-scepticisme, une sorte de quasi-positivisme, l’autre un demi-panthéisme, sinon un panthéisme absolument déclaré. Comment concilier ces doctrines hasardées avec les nécessités d’un enseignement pratique de la philosophie ?

Quelques esprits libéraux et même avancés diront peut-être aujourd’hui qu’il était facile d’éviter ces difficultés et de concilier la neutralité religieuse ayec l’indépendance absolue due à la science