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elle-même, il l’a séparé et affranchi de la théologie ; 2° comme Descartes encore, il en a fini avec la scolastique et il a introduit dans les écoles l’esprit libéral de la philosophie moderne. Voilà la vérité ; et nous croyons que ces deux propositions ressortiront d’une manière évidente de l’historique exact et complet que nous allons présenter.

Demandons-nous d’abord ce qu’était l’enseignement de la philosophie sous l’ancien régime. Avant 1789, l’état était chrétien, et même exclusivement catholique. La loi était donc chrétienne et catholique. L’enseignement, expression de l’état et de la société elle-même, devait être aussi catholique et chrétien. Si nous consultons le cours de philosophie le plus célèbre et le plus éclairé de la fin du XVIIIe siècle, cours qui a conservé longtemps son empire même dans ce siècle-ci, la Philosophia Lugdunensis[1], nous y voyons exposée à la suite de la morale religieuse toute la théologie catholique, et cela non pour les séminaristes, mais pour les laïques : Cum inter philosophiœ candidates plurimi sint qui theologiœ limen nunquam adituri sunt, eos a scholis dimissos noluimus quin brevem religionis christianœ tractatum exceperint. Ce n’est pas d’ailleurs seulement à la fin de l’ouvrage et dans les conclusions de la morale, c’est dans le corps même du cours que le dogme théologique est partout présent. Nous y voyons enseignée par exemple l’angélologie, ou la théorie des anges, la doctrine de l’éternité des peines, la doctrine de la loi divine positive, c’est-à-dire l’autorité des lois ecclésiastiques. Ainsi, à n’en pas douter, en 1788 (car c’est la date de notre édition), l’enseignement de la philosophie était tout imprégné de la doctrine catholique[2].

Non-seulement la doctrine enseignée était la doctrine catholique ; mais tout le monde sait que l’enseignement en général était exclusivement entre les mains du clergé, et que, soit les congrégations enseignantes, soit l’université elle-même, étaient des corps ecclésiastiques. Enfin le caractère officiel de la religion dans l’enseignement résultait de la formule même imposée au baccalauréat

  1. La Philosophie de Lyon date de 1782. Elle n’était pas destinée aux ecclésiastiques, mais aux écoles. Le titre porte : ad usum scholarum, sans restriction.
  2. On le voit, d’ailleurs, également par d’autres cours ou manuels du même temps : par exemple, le cours de l’abbé Hauchecorne, professeur au collège des Quatre-Nations, le cours d’un nommé Caron, chirurgien-major à l’hôtel des Invalides, et dont le manuel a pour objet la préparation au baccalauréat. Ce sont là des manuels infimes, mais : qui résument par là d’autant mieux l’état moyen des études et les idées consacrées : nous y retrouvons en abrégé les mêmes points de doctrine ecclésiastique que dans la Philosophie de Lyon. Notamment, nous remarquerons dans le cours de l’abbé Hauchecorne la réfutation de l’indifférentisme en matière religieuse, en d’autres termes de la doctrine de la tolérance.