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travaux, à escompter, en quelque sorte, les besoins de l’avenir et à procéder tout de suite à des dépenses dont l’utilité ultérieure peut être prévue. C’est ainsi, par exemple, que l’on aurait déjà fait des commandes de mobiliers scolaires pour des écoles qui ne sont pas encore construites. Peut-être, si l’on prenait la peine de calculer ce que cette combinaison procure en salaires, trouverait-on que le résultat ne rachète pas les inconvéniens économiques et financiers d’une pareille mesure. Ce mode de virement ou d’anticipation est contraire à toute prudence. En outre, ne voit-on pas que ces divers moyens se retournent, par une évolution très logique, contre l’intérêt au profit duquel on prétend les employer ? Les restrictions dans les contrats se paient par l’élévation du prix des travaux qui sont à la charge de l’état ou des villes. Ces travaux, exécutés d’urgence, ne peuvent être soldés que par des emprunts, des impôts, des droits d’octroi, etc., qui pèsent nécessairement sur tous les contribuables et qui prélèvent une part des salaires.

S’agit-il de repousser la concurrence étrangère qui vient lutter contre nos grandes industries, et même contre l’industrie parisienne ? Il suffit, nous dit-on, de relever les droits de douane sur nos frontières et de renoncer aux traités de commerce afin d’échapper aux conséquences du traité de Francfort. Ce n’est rien moins que la théorie de la protection du travail national. Eh bien ! soit le gouvernement de la république va nous rendre les anciens tarifs, revus et augmentés. Mais alors les produits fabriqués en France seront plus coûteux que la plupart des produits similaires fabriqués au dehors, la nation tout entière subira ce renchérissement général, la consommation intérieure se restreindra, l’exportation sera réduite, il y aura moins de travail et nos ouvriers en souffriront autant et plus peut-être que les autres citoyens ; car ils consomment en même temps qu’ils produisent, et leur salaire verra diminuer sa valeur d’échange, c’est-à-dire sa valeur réelle, en proportion de la cherté factice des choses nécessaires à la vie. Le rétablissement des tarifs de douane ne viendrait donc pas, comme on le suppose, au soutien de la main-d’œuvre, et il ne tarderait pas à faire déchoir l’industrie française.

Tels sont, en raccourci, les moyens, ou plutôt les expédiens qui sont proposés pour remédier à la crise du travail. Nous estimons qu’ils ne valent pas mieux les uns que les autres. Ceux-là mêmes qui semblent promettre un soulagement immédiat et temporaire, tels que les travaux extraordinaires, les commandes anticipées, etc., seraient, en fin de compte, absolument inefficaces. Ils ont le grave tort d’attribuer à l’autorité publique un rôle qui ne lui appartient pas, en la constituant dispensatrice du travail et du salaire. Il y a