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L’élévation excessive ou inopportune des salaires a pour effet de tarir les sources mêmes du travail, soit en augmentant le prix de revient des produits au point de les rendre trop chers pour la consommation, soit en provoquant l’importation des productions similaires de l’étranger. L’enquête est, à cet égard, pleine d’informations fournies par les ouvriers eux-mêmes. Dans l’industrie du bâtiment, l’étranger qui ne nous envoyait jusqu’ici que des matériaux non ouvrés, nous expédie aujourd’hui des pièces fabriquées, et mêmes peintes, des portes et des fenêtres, par exemple, dont les premiers débarquemens sur les quais du Havre, causèrent une véritable surprise. La main-d’œuvre parisienne est devenue tellement coûteuse qu’il y a intérêt à faire travailler les bois dans des ateliers improvisés en Norvège, où les salaires sont modérés. De même, pour l’ébénisterie commune, depuis que, sous la pression de quelques-syndicats, les ouvriers du faubourg Saint-Antoine ont exigé une rémunération plus forte. Beaucoup de meubles nous arrivent aujourd’hui d’Allemagne ou de Belgique, malgré la cherté des transports par chemins de fer. De même encore pour d’autres articles, de l’industrie parisienne, pour des produits artistiques, dont la fabrication lui avait été jusqu’ici réservée. Pourquoi ne pas ajouter que certains patrons, frappés ou menacés par les grèves, commencent à faire exécuter leurs commandes dans les ateliers étrangers, ou qu’à Paris même ils emploient des ouvriers suisses, allemands, italiens, de préférence aux ouvriers français ? Ces faits, relatés dans l’enquête, ne sont que trop exacts. Les grands travaux subissent un temps d’arrêt qui était à prévoir à la suite d’un véritable débordement de constructions ; d’un autre côté, par le fait des grèves et de la hausse des salaires, l’industrie parisienne a vu se restreindre ou se fermer pour elle les marchés de l’intérieur et du dehors, où elle écoulait ses produits.

L’origine et les causes de la crise sont donc bien connues. Quels remèdes propose-t-on ? Exclure les ouvriers étrangers des travaux adjugés pour le compte de l’état et des villes, ce serait un expédient, d’une bien faible portée, contraire d’ailleurs aux habitudes internationales et pouvant susciter contre nous de justes représailles. Obliger les entrepreneurs qui traitent avec l’état ou avec les villes à ne fournir que des produits fabriqués en France, à l’instar de ce qui s’est fait récemment dans les contrats passés avec les services de paquebots, ce ne serait encore qu’un expédient peu efficace, car, dans les villes, les travaux publics ne contribuent que pour une part relativement faible à l’ensemble de l’activité industrielle. Il est vrai que l’on incite en même temps le gouvernement et les conseils municipaux, à entreprendre une nouvelle série de