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Voici donc des syndicats organisés pour obtenir l’élévation des salaires. Nous savons déjà par les demandes produites devant la commission d’enquête, par les pétitions adressées à la chambre des députés, ce que réclament les représentans des ouvriers, et il importe d’établir que la plupart de ces demandes ont reçu, au cours même de l’enquête, la réponse la plus décisive. Il résulte, en effet, de nombreuses dépositions que, pour Paris, c’est l’exagération des salaires qui a mis en péril le travail, c’est-à-dire le salaire lui-même et que tes remèdes empiriques proposés ou appliqués déjà pour atténuer la crise sont tout à fait dépourvus d’efficacité.

Le prix de la main-d’œuvre devrait, comme celui de toute marchandise, se régler d’après la loi de l’offre et de la demande. C’est ce qui arrive dans les pays qui sont habitués au régime de la liberté ; le salaire hausse ou baisse, selon l’activité plus ou moins grande du travail : en Angleterre et en Belgique, par exemple, où la liberté du commerce existe au même degré que la liberté politique, les périodes de baisse dans le taux des salaires sont presque aussi fréquentes que les périodes de hausse. Il n’en est pas de même en France. Par suite d’anciennes habitudes et de traditions qui remontent au régime prohibitif, les diminutions de salaires y sont beaucoup plus rares. Défendus autrefois contre la concurrence étrangère par le tarif des douanes, les patrons devaient et pouvaient, en temps de crise et pour prix de la protection qui les enrichissait durant les jours de prospérité, maintenir le taux des salaires au profit de leurs ouvriers. Cette tradition, avantageuse pour la main-d’œuvre, s’est à peu près conservée, bien que l’ouverture de nos marchés à la concurrence internationale ait sensiblement modifié la condition du capital. Ce n’est pas tout : à Paris et dans quelques grandes villes, l’administration municipales établi des séries de prix destinées à servir de base, et non de règle, dans les adjudications de travaux publics. Le prix des salaires est naturellement prévu dans ces devis, et il y est calculé largement afin qu’il reste aux entrepreneurs qui concourent pour la soumission des travaux une certaine marge de baisse. C’est également d’après la série de la ville que sont adjugés la plupart des travaux exécutés pour le compte des particuliers. Or, on demande que le prix de la série pour la main-d’œuvre, prix qui ne devrait être que la prévision d’un maximum, soit le prix ferme dû à l’ouvrier, et le conseil municipal n’est pas éloigné d’adopter cette interprétation en imposant aux entrepreneurs de la ville l’obligation de payer ainsi le maximum de salaires. L’activité de l’industrie parisienne s’étant ralentie, les patrons éprouvaient déjà une grande difficulté à maintenir les prix de main-d’œuvre précédemment acquis : voici maintenant qu’il leur faudrait augmenter les salaires, Cela est évidemment impossible.