Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/809

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Devenue système, devenue loi de l’industrie, et c’est ainsi seulement qu’elle se révélerait comme un progrès sérieux et décisif, la participation serait inacceptable pour la grande majorité des usines.

D’un autre côté, même dans ses conditions actuelles, la participation ne sera recherchée par les ouvriers que si elle est effective, c’est-à-dire si les bénéfices sont fréquens et s’ils atteignent un chiffre appréciable. Or ne perdons pas de vue que le taux du salaire demeure fixé aux cours du marché, qu’il ne subit aucune réduction ni retenue, et que dès lors le patron, par rapport à ses concurrens, ne réalise pas sur la main-d’œuvre une économie qu’il puisse distribuer, à la fin de l’année, comme part de bénéfices. Non, il faut que le bénéfice industriel soit obtenu, tous frais de main-d’œuvre payés. Sont-ils nombreux les établissemens qui donnent presque chaque année des bénéfices, ou dont les bénéfices intermittens sont assez considérables pour fournir une quote-part qui augmente sensiblement le salaire ? On citera des exemples : la plupart des usines dont il a été question dans l’enquête sont dans ce cas ; mais n’est-il pas vrai qu’elles sont organisées et administrées dans des conditions sinon exceptionnelles, du moins particulièrement favorables ? Elles comptent de longues années d’existence, elles sont bien conduites et présentent toutes les garanties de durée ; elles assurent ainsi à l’ouvrier la continuité du travail, la permanence des engagemens et la perspective d’une répartition à peu près régulière de bénéfices. En est-il de même pour la majorité des usines ? Tant que les ouvriers recevront une part de bénéfices, tout ira bien ; mais s’il survient une série d’années au bout desquelles la rémunération supplémentaire sur laquelle ils comptent leur fera défaut, le découragement naîtra en même temps que la défiance. Beaucoup prétendront qu’ils sont trompés, que les comptes sont établis de manière à masquer les bénéfices et que le patron s’enrichit à leurs dépens. C’est la nature humaine. Il est superflu d’insister. Les esprits pratiques saisissent du premier coup d’œil les difficultés multiples et de toute nature qui s’opposent aux progrès de la participation érigée en système. L’échec éprouvé par MM. Briggs, propriétaires des houillères du Yorkshire, peut servir d’enseignement. MM. Briggs avaient adopté la participation en 1865 ; ils ont dû y renoncer en 1874. Tout en acceptant avec la plus vive satisfaction les dividendes que leur procurait une période d’années prospères, les ouvriers demeuraient attachés au syndicat de leur corporation, et, lorsque sont arrivés les mauvais jours, lorsque la caisse de la participation a été vide, ils se sont mis en grève comme de simples salariés. Et cependant, on s’en souvient, l’expérience tentée par MM. Briggs était citée et célébrée partout, en Angleterre comme en France, à l’égal de la Société des équitables pionniers de Rochdale.