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confiance dans l’avenir des associations jugeaient qu’il était à la fois politique et humain de se laisser aller au courant, de ne point désespérer les ouvriers, de sacrifier quelques millions pour une expérience dont l’insuccès devait être instructif et pouvait rectifier les idées fausses répandues par les sectaires du socialisme. Sur tous les bancs de l’assemblée, le boa vouloir était également sincère. Après l’insurrection ! de juin, si énergiquement réprimée, les républicains comme les monarchistes, gardaient de l’indulgence pour les chimères et montraient une sorte de compassion pour les illusions qui avaient eu la puissance d’entraîner tant d’ouvriers jusqu’à la révolte. Il est permis à l’historien sévère de critiquer cette attitude : toute concession faite à des idées fausses est plus périlleuse qu’une amnistie accordée à des coupables ; mais les témoins des événemens peuvent attester les difficultés au milieu desquelles le gouvernement et l’assemblée essayaient de vivre. La force des choses commandait ces concessions, elle excusait ces écarts de principe et elle justifiait les mesures exceptionnelles qui tendaient à favoriser les associations. Dans les ateliers, dans les clubs, dans la presse, partit, l’association était à l’ordre du jour[1].

Quels furent les résultats de ces encouragemens officiels, de la subvention législative de 3 millions et des privilèges accordés aux sociétés ouvrières pour l’entreprise des travaux de l’état ? La commission chargée de répartir après examen les 3 millions reçut plusieurs centaines de demandes, ce qui n’avait rien d’exagéré ; mais comme la plupart des pétitionnaires ne remplissaient point les conditions nécessaires pour l’utile emploi des fonds, elle ne put, dans le cours de las première année, disposer que de 2 millions, qui furent prêtés à cinquante associations formées pour l’exploitation des industries les plus diverses. Le surplus fut distribué en 1849 et en 1850. En réalité, la commission, qui était autorisée à se montrer large et libérale dans l’allocation des prêts, se trouva fort embarrassée pour dépenser convenablement le crédit qui lui était ouvert ; car presque toutes les associations qui se présentaient devant elle lui paraissaient vouées à une dissolution plus ou moins prochaine. Les craintes à cet égard n’étaient que trop fondées. La plupart des associations improvisées à cette époque ont successivement sombré, et le trésor n’a point recouvré la totalité des 3 millions qu’il leur a prêtés. — Quant à l’admission privilégiée des sociétés ouvrières dans les entreprises de travaux publics, les rapports des

  1. Dans un écrit publié en 1857 sur les Associations ouvrières, M. le vicomte Anatole Lemercier, ancien député, a retracé dans tous ses détails l’histoire de ces sociétés de 1848 à 1870.